L'Appel des Hauteurs Mises à jour Suivre l'Appel Œuvres Récits Y penses-Tu ? Enseignement Contacts Franchezzo Avant-Propos Première partie Deuxième partie A suivre... FRANCHEZZO Première Partie - Les Jours de l'Obscurité - I Je suis allé en pèlerinage dans un pays lointain, à travers des régions qui, chez vous, sur Terre, n'ont ni nom, ni espace. Je désire maintenant mettre par écrit les étapes de mes voyages, afin que ceux qui ont pris la même direction de marche que moi puissent savoir ce qui les attend à l'intérieur de ces frontières. Dans mon existence terrestre, je vivais comme tous ceux qui ne font que s'épuiser à se procurer au plus haut degré les jouissances du monde. Si je n'étais pas désobligeant envers ceux que j'aimais, cela se passait cependant, toujours, avec le sentiment qu'ils devaient être utiles à me satisfaire et que, par mes cadeaux et mon penchant pour eux, je pouvais leur acheter l'amour et les hommages qui m'étaient nécessaires dans ma vie. Tant sur le plan physique qu'intellectuel, j'étais très doué. En mon âme, l'idée d'un don de soi-même capable de se perdre complètement dans l'amour pour les autres ne m'était jamais venue. Parmi toutes les femmes que j'ai aimées, d'un sentiment qualifié trop souvent à tort d'amour par les hommes de la Terre, alors qu'il n'est tout simplement que passion, il ne s'en trouva aucune pour me faire éprouver ce qu'est le véritable amour, l'idéal vers lequel j'aspirais secrètement. En chacune, je trouvais toujours quelque chose pour me décevoir. Elles m'aimaient ainsi que je les aimais. La passion que je leur vouais ne me gagnait qu'un sentiment conforme de leur part. Ainsi vivais-je là-bas, insatisfait d'un désir que j'ignorais moi-même. Je fis beaucoup de fautes et commis beaucoup d'erreurs. Le monde se tenait toutefois à mes pieds pour me louer, me trouver bon, noble et doué. Je fus fêté, courtisé, et le chéri gâté de toutes ces dames de la société. Pour obtenir, je n'avais qu'à désirer, mais aussitôt que j'avais gagné, tout se transformait en amertume. Puis vint le temps où je commis la faute la plus néfaste en ruinant deux vies. Je me sentis comme attaché par des chaînes de fer qui me serraient et me blessaient jusqu'à ce que je pus enfin les briser et me retirer, à première vue, en homme libre. Mais jamais plus je ne serais réellement libre. Car jamais, même un instant - que ce soit dans cette vie ou dans l'autre -, nos fautes et nos erreurs passées ne peuvent cesser de suivre nos traces et d'accabler nos vibrations, et cela tout le temps qu'elles n'ont pas été expiées l'une après l'autre et rayées ainsi de notre passé. Lorsque je croyais enfin avoir tout appris de ce que l'amour peut enseigner, et tout connaître de ce qu'une femme peut donner, il advint alors que je fis la rencontre d'une dame. Ah! Comment dois-je la nommer? A mes yeux, elle était plus qu'une femme mortelle et je l'appelai "le bon ange de ma vie". Je tombai à ses pieds dès les premiers instants, en lui consacrant tout l'amour de mon âme, de mon moi le plus élevé. En égard de ce qu'il aurait dû être, mon amour était égoïste. Mais il était tout ce que j'avais à donner et je le donnai sans réserve. Pour la première fois de ma vie, je pensais plus à une autre personne qu'à moi-même. Si je ne fus plus en état de me hausser jusqu'au degré de pureté des pensées et idées qui remplissaient son âme, je remercie Dieu par contre de n'avoir jamais cédé à la tentation de la rabaisser jusqu'à moi. Ainsi passa le temps. Je me réchauffais en sa présence et prenais des forces dans un penser sacré, dont je pensais qu'il m'avait quitté pour toujours. Je faisais de beaux rêves dans lesquels j'étais libéré des chaînes de mon passé qui, si cruellement et si durement, me retenaient attaché. Juste au moment où je m'efforçais d'atteindre des choses plus élevées, je craignais toujours qu'un autre ne puisse gagner ma bien-aimée. Il me fallait malheureusement reconnaître que je n'avais aucun droit de la retenir, ne serait-ce que d'une parole. Quelle amertume et quelle souffrance ont rempli mon âme en ces jours! Je sentais bien que, après m'être souillé par mon mode de vie je n'étais pas digne de la toucher. Comment pouvais-je oser lier à la mienne cette vie innocente et pure? Bien qu'elle se montrât si aimante et si tendre avec moi que je pusse deviner l'innocent secret de son amour, je sentais toutefois que sur Terre, elle ne deviendrait jamais mienne. Sa pureté et sa droiture élevaient entre nous un obstacle que je ne pourrais jamais écarter. Je tentais de la quitter... en vain! Comme un aimant, j'étais toujours à nouveau attiré vers elle et, finalement, je ne combattis plus mon penchant. Dès lors, je m'efforçai seulement de jouir de la félicité que sa présence m'accordait. Puis, soudain, surgit pour moi, comme un voleur dans la nuit, le jour épouvantable où, sans avertissement et sans avoir encore pu voir clair en mon état d'âme, je fus d'une manière inattendue enlevé à la vie, pour sombrer dans la mort du corps qui nous attend tous. Je ne savais pas que j'étais mort! Après quelques heures de souffrances et d'agonie, j'avais sombré dans un profond sommeil sans rêve, et à mon réveil, j'étais seul et dans une totale obscurité. Je pouvais me lever, me mouvoir et sûrement je me sentais mieux. Mais où étais-je? Pourquoi cette obscurité? Je me levai et tâtai autour de moi comme quelqu'un dans un local sombre, mais je ne trouvai aucune lumière, n'entendis aucun son. Il n'y avait là rien d'autre que le silence, l'obscurité de la mort. Je voulus alors avancer pour trouver la porte. Je pouvais me déplacer, bien que lentement et avec peine, et je me dirigeai plus loin à tâtons. Combien de temps ai-je dû ainsi chercher? Je ne sais pas! Des heures il me semble, au fur et à mesure que j'étais pris d'une peur et d'une angoisse grandissantes. Je sentais qu'il me fallait trouver quelqu'un, quelque sortie de cet espace. Il semblait toutefois, à mon désespoir, que je ne dusse jamais frapper à une porte, à un mur, et d'une façon générale à quelque chose. Autour de moi, tout semblait vide et ténèbres. Finalement, dominé par la peur, je poussai un cri! Bien qu'ayant hurlé, aucune voix ne me répondit. J'appelai encore et encore, mais c'était toujours le même silence, aucun écho! Pas une fois ma propre voix ne me revint pour m'encourager. Je me souvins alors de celle que j'aimais, mais quelque chose me rebutait d'exprimer ici son nom. Je pensai alors à tous les amis que j'avais connus et les appelai. Aucun d'eux cependant ne me répondit. Etais-je en prison? Non. Une prison a des murailles et cet endroit n'en avait pas. Etais-je fou, insensé ou quoi? Je pouvais me tâter, sentir mon corps, il était le même. Vraiment le même? Non. Quelques changements étaient survenus en moi. Je ne pouvais pas dire comment, mais c'était comme si j'étais ratatiné et déformé. Quand je me passais les mains sur le visage, mes traits me paraissaient plus grossiers, plus rudes et certainement déformés. Qu'aurais-je donné pour une lumière maintenant, pour n'importe quoi qui aurait pu me parler, même si cela dût être la pire chose! Personne ne viendrait-il jamais? Et mon ange de lumière, où était-elle? Avant mon sommeil, elle était restée auprès de moi. Où se trouvait-elle maintenant? Mon front brûlait de fièvre et ma tête semblait vouloir éclater. Violemment, je l'appelai par son nom, lui demandai de venir à moi, ne serait-ce qu'une seule et dernière fois! J'avais l'épouvantable sentiment de l'avoir perdue et l'appelai comme un fou. Alors, pour la première fois, ma voix retentit et revint en écho à travers cette cruelle obscurité. Très loin devant moi se distingua un faible éclat de lumière, comme une étoile. Elle devint de plus en plus grande et se rapprocha toujours plus, jusqu'à finalement paraître devant moi, comme une grande lumière de la forme d'une étoile. Dans cette étoile, je vis ma bien-aimée. Ses yeux étaient clos, comme dans le sommeil, mais ses bras étaient tendus vers moi, et sa voix agréable me parla dans un ton que je connaissais si bien. "Ah ! mon bien-aimé, où es-tu à présent ? Je ne peux te voir, je n'entends que ta voix. Je t'entends m'appeler et mon âme répond à la tienne!" Je m'efforçai de me hisser jusqu'à elle mais n'y parvins pas. Une force invisible me retenait. Elle semblait se tenir à l'intérieur d'un cercle que je ne pouvais franchir. Dans le plus grand des tourments, je tombai sur le sol en la suppliant de ne plus jamais me quitter. Alors elle sembla devenir inconsciente; sa tête s'inclina sur sa poitrine, puis elle s'envola, comme portée par des bras puissants. Je tentai de me relever pour la suivre mais sans y parvenir. C'était comme si une chaîne me retenait, et après quelques vaines tentatives, je tombai évanoui sur le sol. Quand je repris mes sens, je fus enchanté de retrouver ma bien-aimée auprès de moi. Elle se tenait tout près de moi et m'apparaissait comme je l'avais connue sur Terre; seulement, elle était triste, pâle et vêtue de noir. L'étoile avait disparu et autour, tout était noir. Ce n'était toutefois pas une obscurité extrême, car il régnait autour d'elle un faible et blafard éclat lumineux à la lueur duquel je pouvais distinguer qu'elle portait à la main des fleurs blanches. Elle se pencha au-dessus d'un monticule de terre fraîche. Me rapprochant toujours plus d'elle, je m'aperçus qu'elle pleurait doucement alors qu'elle déposait les fleurs. Elle murmurait tout bas: "Ah ! mon chéri, mon bien-aimé, ne reviendras-tu jamais auprès de moi ? Est-il possible que tu sois vraiment mort, et que tu sois parti où mon amour ne peut te suivre ? Mon bien-aimé, mon cher bien-aimé !" Elle s'agenouilla et je me rapprochai tout près d'elle, même si je ne pouvais toujours pas la toucher. Comme je m'étais moi-même agenouillé, je jetai un oeil vers le monticule oblong en bas. Un frisson de terreur me parcourut, lorsque je découvris enfin que j'étais mort et que c'était ma propre tombe. II "Mort! Mort!" m'écriai-je, déchaîné. Ah! Non cela ne peut pas être! Les morts ne sentent plus rien, ils deviennent poussière. Ils pourrissent et tout est fini, tout est perdu pour eux. Ils n'ont plus de conscience. Serait-ce que toute la philosophie de ma vie avait été fausse? Que l'âme continuait à vivre, même si le corps se dissolvait? Il est vrai que les prêtres de nos églises nous l'avaient enseigné ainsi. Mais je les avais raillés comme des fous, aveugles et fripons, ne prétendant vouloir de la sorte que leur propre profit en affirmant que l'être humain survivait. Ils disaient que nous ne pouvions parvenir au ciel que par une porte dont eux seuls avaient la clé en main: clé qui ne serait mise en action que sur la demande de ceux qui avaient auparavant bien payé. Ce n'était que pour de l'argent que les prêtres entendaient dire des messes pour les âmes des morts. Ces prêtres qui font de femmes impressionnables et d'hommes faibles d'esprit des sots apeurés par ces affreux récits d'enfer et de purgatoire, sacrifiant tout pour acquérir dans ce monde-là un illusoire privilège. Je n'ai jamais réclamé ce privilège. Je connaissais trop bien ces prêtres et leur vie privée pour accorder foi à leurs promesses vides d'un pardon qu'ils ne pouvaient accorder. Je disais que si la mort venait, je voudrais la regarder en face, avec le courage de ceux qui croient savoir qu'elle signifie un complet anéantissement. Si ces prêtres n'étaient pas dignes d'être crus, en qui devait-on croire? Qui alors pouvait dire si, après la mort, existait un futur, et principalement un Dieu? Pas les vivants, car eux croyaient et présumaient seulement. Les morts non plus, car aucun n'était revenu pour nous donner des nouvelles de l'au-delà. Et je me tenais maintenant près de ma propre tombe, voyant ma bien-aimée y étaler des fleurs et l'entendant me pleurer comme mort. Comme je m'approchais davantage de ce monticule de terre, il devint transparent à mes yeux et, en bas, je vis un cercueil avec mon nom et la date de ma mort. Y gisant, je vis le pâle et paisible visage que je me connaissais. Avec effroi, je remarquai que ce corps avait déjà commencé à se décomposer. Il était devenu pour l'œil un spectacle répugnant. Sa beauté était passée. Bientôt, personne n'en reconnaîtrait plus les traits. Et je me tenais là, conscient, le regardant puis me regardant moi-même! Je tâtais chacun de mes membres, suivais avec les doigts chaque trait familier de mon visage et savais que j'étais mort mais tout de même vivant. Le mort vivait, mais où et en quel état? Ces ténèbres étaient-elles l'enfer? Pour moi, les prêtres n'auraient trouvé aucun autre endroit! J'étais si égaré, me tenais tellement en dehors du giron de l'église qu'ils n'auraient pas trouvé une place pour moi au purgatoire. J'avais rompu tout lien avec leur église. Je l'avais méprisée, selon le postulat qu'une église qui connaissait et supportait l'activité honteuse et ambitieuse de ses plus hauts dignitaires n'avait aucun droit de se nommer directrice spirituelle. Il y avait bien de bonnes gens dans l'église, mais aussi une foule de honteux et de médiocres dont la vie servait généralement de risée. L'église, qui prétendait être un exemple et posséder la Vérité, n'expulsait pourtant pas les éléments impurs. Non! elle les nommait même aux postes honorifiques les plus élevés. Qui a vécu dans mon pays et a pu observer l'épouvantable abus que fait l'église de sa puissance ne s'étonnera pas si le peuple finalement veut secouer un tel joug. Aussi, j'avais méprisé l'église, et si ses anathèmes avaient le pouvoir d'envoyer quelqu'un aux enfers, je m'y trouvais certainement. Comme j'en étais là à méditer et que je voyais à nouveau ma bien-aimée, je pensai qu'elle n'aurait jamais pu venir aux enfers, même dans le but de me voir. Lorsqu'elle s'agenouillait sur ma tombe, elle paraissait bien mortelle et devait se trouver encore sur la Terre. Les morts ne quittaient-ils donc pas la Terre généralement, restaient-ils auprès du théâtre de leur existence terrestre? Pendant que de telles pensées me venaient à l'esprit, je tentai de m'approcher plus près de celle que j'aimais tant. Une invisible barrière semblait l'entourer et me retenir. Je pouvais me mouvoir à mon gré sur ses deux côtés seulement; pour la toucher, je n'étais pas en état. Tous mes efforts en ce sens étaient vains. Alors je lui parlai et l'appelai par son nom. Je lui racontai que j'étais encore là en conscience et le même, bien que mort. Elle, par contre, ne paraissait ni m'entendre ni me voir. Tristement elle pleurait doucement et remuait délicatement les fleurs, en disant devant elles que j'avais tellement aimé les fleurs que je saurais certainement qu'elle avait déposé celles-ci pour moi. Encore et encore, je lui parlais aussi fort que je pouvais mais elle restait sourde à ma voix. Elle était seulement inquiète et se passait la main sur le front comme en un rêve. Puis, lentement, elle s'éloigna, tristement. De toutes mes forces, je m'efforçai de la suivre. Vainement! Je ne pouvais m'éloigner que de quelques pas de ma tombe et de mon corps, et remarquai aussitôt pourquoi. Une chaîne, semblable à un fil de soie noire, pas plus épais qu'un fil d'araignée, me maintenait à mon corps. Il ne m'était pas possible de déchirer ce fil. Aussitôt que je me déplaçais, il s'allongeait comme du caoutchouc mais me retenait toujours en arrière. Ce qui m'inquiétait le plus, c'est que la décomposition de mon corps commençait à toucher mon esprit, comme une partie du corps terrestre qui est empoisonnée lèse tout le corps. Avec cela, une épouvante nouvelle envahit mon âme. Alors la voix de quelqu'être sublime me parla dans la nuit: "Tu aimes ce corps plus que ton âme. Maintenant, vois comme il tombe en poussière et reconnais ce dont tu te préoccupais et à quoi tu étais accroché. Reconnais combien il était éphémère, combien il est devenu sans valeur. Regarde maintenant ton corps fin-matériel et vois combien tu l'as affamé, enchaîné et négligé au profit des jouissances du corps terrestre. Vois combien ton âme - qui est pourtant animée et éternellement vivante - est maintenant devenue, à cause de ta vie terrestre, nécessiteuse, repoussante et défigurée." A présent, je me regardais moi-même; ainsi que dans une glace qui m'était présentée, je me voyais. Oh! Stupeur! Il n'y avait pas de doute. Mais combien je me trouvais affreusement changé! Si vulgaire, si plein de bassesse, si repoussant dans chaque trait! Même mon aspect était déformé. Je reculai, effrayé, devant mon apparition. Je désirai que la terre s'ouvre sous mes pieds et me cache à tous les yeux pour toujours. Plus jamais je ne pourrais appeler mon amour et désirer qu'elle puisse me voir. Il valait beaucoup mieux qu'elle pensât à moi comme à un mort qui était parti pour toujours, et qu'elle me gardât dans sa mémoire ainsi que j'avais été sur Terre, plutôt que d'apprendre mon épouvantable transformation et quelle chose hideuse était mon moi intérieur véritable. Mon désespoir et mon tourment étaient indescriptibles. Je criais sauvagement, me frappais et, d'épouvante, m'arrachais violemment les cheveux. Puis, ma passion m'épuisa et je m'effondrai à nouveau, inanimé et sans connaissance. A nouveau je m'éveillai et, de nouveau, c'était la présence de mon amour qui en était la cause. Elle m'adressait de douces et tendres paroles alors qu'elle déposait des fleurs sur ma tombe. Mais là, je ne cherchai plus à me rendre visible et me tins en arrière afin de me cacher. Mon cœur devenait dur, même envers elle. Je me disais: "Il vaut mieux pour elle plaindre celui qui l'a quittée que de savoir qu'il vit encore." C'est ainsi que je la laissai partir. Cependant, à peine s'était-elle éloignée que je lui courais après comme un fou. Elle devait de toute manière prendre connaissance de mon état affreux et ne pas me laisser seul à cet endroit! Elle ne m'entendit pas mais sentit mon appel, et je la vis faire halte à quelque distance et se retourner à demi comme pour revenir. Puis elle s'éloigna de nouveau et me quitta. Elle me visita encore deux ou trois fois. A chaque fois qu'elle venait, je ressentais à son approche le même frisson et avais à son départ le même sentiment d'abandon. Je voulais aller la rechercher et la retenir à mes côtés. Mais maintenant je ne l'appelais plus. Désormais je savais que les morts appellent vainement, car les vivants ne les entendent pas. Pour tout le monde j'étais mort, sauf pour moi et mon affreux destin. Ah! Je le savais maintenant, la mort n'est pas un sommeil sans fin, un oubli tranquille. Et, dans mon désespoir, je priai qu'un oubli complet me soit accordé. Toutefois, je savais qu'il n'en serait jamais ainsi, car l'être humain est une âme animée et qui continue à vivre éternellement, pour le bon ou le mauvais, pour le salut ou la douleur. Sa forme terrestre se dissout et devient poussière mais l'esprit, qui est le véritable être humain, ne connaît aucune décomposition ni aucun oubli. Jour après jour - je sentais les jours s'écouler - mon esprit s'éveillait de plus en plus, et je revoyais les événements de ma vie, en une longue série, se dérouler devant moi toujours plus clairement. Ils étaient d'abord accablants puis devenaient progressivement plus distincts et plus clairs. Et j'inclinais la tête dans un effroi plein de honte et de désespoir. Car je sentais qu'il était maintenant trop tard pour en effacer un acte. III Je ne sais combien de temps dura cet état; il me parut durer longtemps, très longtemps. Plongé dans le désespoir je restais là, assis, lorsque j'entendis la douce voix de ma bien-aimée. Je me sentais poussé à me lever et à la suivre jusqu'à ce qu'elle m'ait conduit à elle. Pendant que je me préparais ainsi à partir, le fil qui m'avait si fermement retenu parut s'étendre et s'étirer au point que je le sentais à peine me résister. J'étais attiré toujours plus loin et me trouvai finalement dans une chambre où je pouvais voir, malgré l'obscurité qui m'entourait. C'était le foyer de ma bien-aimée, cet espace dans lequel j'avais passé des heures si nombreuses, si paisibles et si heureuses, où je n'étais pas encore séparé d'elle par cet épouvantable abîme. Elle était assise à une table; une feuille de papier devant elle et un crayon à la main. M'appelant par mon nom, elle dit: "Mon cher ami, si jamais les morts reviennent, viens alors vers moi et essaye, si tu le peux, de me faire écrire quelques mots comme réponse à ma question, ne serait-ce que oui ou non." Depuis que j'étais mort, c'était la première fois que je voyais sur ses lèvres un léger sourire et un regard d'espoir dans ses yeux devenus si tristes de la peine éprouvée par ma mort. Le visage soucieux et aimé paraissait si blême et si mélancolique que je sentais la profondeur de l'amour qu'elle me vouait et après lequel je devais, maintenant moins que jamais, émettre des prétentions. Mais alors je vis auprès d'elle trois autres personnages que je reconnus comme esprits tout à fait différents de moi. Ils semblaient si brillants et si rayonnants que c'est à peine si je pouvais supporter leur vue. Mes yeux brûlaient comme du feu. L'un était un homme grand, tranquille et d'un aspect merveilleux. Il se penchait par-dessus elle pour la protéger comme s'il avait été son ange gardien. Deux beaux jeunes hommes se tenaient auprès de lui. En eux je reconnus soudain ses frères dont elle m'avait souvent parlé et qui étaient morts avant que la jeunesse ne leur ait accordé toutes ses joies. C'était maintenant comme des anges qu'ils vivaient dans le cœur de ma bien-aimée. Je fus effarouché car je sentis qu'ils me voyaient. Je cherchai à couvrir mon visage et mon corps déformés avec le noir manteau que je portais. Puis ma fierté s'éveilla et je déclarai: "Ne m'a-t-elle pas elle-même appelé ? Je suis venu et elle doit être juge maintenant de mon avenir. Serait-ce qu'aucune peine, aucun regret, même si profonds, aucun fait même si grand, aucun travail même si rude, ne puissent expier ma dette ? N'y a-t-il vraiment aucun espoir au-delà de la tombe ?" Et une voix, celle que j'avais déjà entendue près de ma tombe, me répondit: "Fils de la douleur ! N'y a-t-il sur Terre aucun espoir pour celui qui se rend coupable envers quelqu'un ? L'homme ne pardonne-t-il pas à celui qui lui a fait du tort, quand celui-ci regrette et demande pardon ? Dieu devrait-Il se montrer moins clément et moins équitable ? Maintenant, éprouves-tu vraiment du regret ? Cherche en ton cœur si tu te soucies de toi-même ou bien de ceux que tu as offensés." Comme elle parlait, je sus que je ne regrettais pas sérieusement; je souffrais seulement; j'aimais et désirais seulement. Puis à nouveau, ma bien-aimée parla et me pria, si j'étais là et pouvais l'entendre, d'essayer d'écrire un mot avec sa main afin qu'elle sache si je vivais et pensais encore à elle. Le cœur parut me monter à la gorge et m'étouffer. Je me rapprochai d'elle afin d'essayer, si je pouvais, de mouvoir sa main ou, pour le moins, de la toucher. Mais le grand esprit se mit entre nous et je fus obligé de me reculer. Puis il parla: "Indique-moi ce que tu veux dire et je le ferai écrire par sa main. Je peux faire cela dans son intérêt et pour l'amour qu'elle conserve pour toi." A ces mots un mouvement joyeux me parcourut et je voulus lui prendre la main pour la baiser. Mais je ne pus le faire car ma main parut roussir à l'éclat de son feu. Je ne pus que m'incliner devant lui en pensant qu'il devait être un ange. Ma bien-aimée parlait maintenant et demandait: "Es-tu ici mon cher ami ?" Je répondis: "Oui !" et vis alors l'esprit poser la main sur la sienne. Après que cela fut fait, sa main écrivit le mot "oui". Lente et incertaine, elle se mouvait comme celle d'un enfant qui apprend à lire et à écrire. Ah! combien son cœur était heureux! A nouveau, elle me posa une question et comme précédemment sa main écrivit ma réponse. Elle demandait si elle pouvait faire quelque chose pour moi, si j'avais un désir qu'elle était à même de satisfaire. "Non, répondis-je, pas maintenant". Je m'éloignerais et ne viendrais plus l'importuner par ma présence. Elle devait essayer de m'oublier. Alors que je parlais, mon cœur blessé était rempli d'amertume. Combien mon âme fut agréablement touchée quand elle dit: "Ne me parle pas ainsi, car j'aimerais toujours être, comme par le passé, ton amie la plus fidèle et la plus aimée. Depuis que tu es mort, mon seul effort a toujours été de te trouver et de te parler à nouveau." Je m'écriai: "Ce fut toujours mon plus profond désir !" Sur ce, elle demanda si je voulais revenir chez elle et je promis. Car où ne serais-je pas allé pour elle! Alors l'esprit rayonnant déclara que cela avait assez duré pour aujourd'hui. Il fit également écrire cela de sa main et lui conseilla d'aller se reposer. Je me sentis à nouveau de retour auprès de ma tombe et de mon corps terrestre, dans l'obscur cimetière, toutefois pas avec le même sentiment misérable de désespoir. C'était au moins en mon cœur une étincelle d'espoir. Je la reverrais et lui reparlerais. Mais je n'étais pas seul. Chacun des deux esprits, ses frères, m'avait suivi. Maintenant, ils me parlaient. Je n'écrirai pas tout ce qu'ils me dirent. Ils m'exposèrent clairement combien était grand l'écart entre leur sœur et moi-même, et ils me demandèrent si je voulais obscurcir sa toute jeune vie par ma sombre présence. Si je la quittais maintenant, elle m'oublierait avec le temps et se souviendrait de moi comme un ami cher. Si je l'aimais vraiment, je ne désirais certainement pas rendre sa toute jeune vie, solitaire et inconsolée à cause de moi. Je répondis que je l'aimais et ne pourrais jamais la quitter, et qu'il m'était insupportable de penser qu'un autre puisse l'aimer autant que moi. Ils parlèrent alors de mon passé et me demandèrent si je pensais pouvoir m'unir à sa vie pure ainsi qu'à sa manière mystique, et comment j'espérais faire. Comment devais-je m'attendre à lui appartenir après sa mort? Elle faisait partie d'une sphère pure à laquelle il n'y avait pour moi aucun espoir de parvenir avant longtemps. Ne serait-il pas mieux pour elle, et d'un amour plus noble de ma part, de la quitter pour qu'elle puisse m'oublier et trouver la félicité qui lui était réservée en cette vie? Hésitant, j'objectai qu'elle m'aimait encore. "Oui, répondirent-ils. Elle t'aime avec l'image qu'elle porte de toi en son cœur et qu'elle a idéalisée dans son innocence. Mais crois-tu qu'elle t'aimerait encore si elle connaissait tout ton passé ? Ne lui faudrait-il pas reculer, épouvantée ? Dis-lui la vérité. Fais-la choisir entre toi et sa liberté. Tu auras ainsi fait preuve d'un amour plus fidèle que si tu cherchais à la tromper et à l'enchaîner à ton être. Si tu l'aimes vraiment, alors pense à elle et à son bonheur, et pas seulement à toi." Alors l'espoir s'éteignit en moi. Dans la honte et la peine la plus grande, j'inclinai ma tête jusqu'à terre car je reconnaissais combien j'étais vulgaire et bien peu mûr pour elle. Ainsi que dans une glace, je voyais à présent combien sa vie, libérée de la mienne, pouvait encore se modeler. Elle ne pourrait qu'être heureuse avec une vie plus respectable que la mienne car, par mon amour, je l'avais attirée avec moi dans la misère. Pour la première fois de ma vie, je fis passer l'amour d'un autre avant le mien, mais comme je l'aimais beaucoup et voulais la savoir heureuse, je leur dis: "Qu'il en soit donc ainsi. Dites-lui la vérité et laissez-la me dire un seul mot d'amour en guise d'adieu. Je m'éloignerai alors d'elle et ne ternirai plus sa vie de mon ombre." Ainsi, nous revînmes chez elle et je vis combien, par son souci pour moi, elle dormait épuisée. Je les priai de me permettre de lui donner un baiser, le premier et le dernier que je lui donnerais. Cependant, ils refusèrent: c'était impossible, car par mon contact, le fil qui la maintenait encore en vie se déchirerait pour toujours. Après l'avoir réveillée, ils lui firent écrire leur communication comme précédemment. Je me tenais à leurs côtés et écoutais comment, par leurs paroles qui pénétraient comme des épines dans mon âme, ils détruisaient pour toujours mon dernier espoir. Elle continuait d'écrire comme dans un rêve jusqu'à ce que l'histoire de ma vie ignominieuse lui fut finalement racontée et qu'il ne me resta plus qu'à lui dire que tout était fini entre nous, qu'elle était libérée de ma présence pécheresse et de mon amour égoïste. Je lui dis adieu. Chaque mot agissait sur moi ainsi que des gouttes de sang s'échappant de mon cœur, et tombait comme de la glace en son âme. Puis je me tournai et la quittai, comment, je ne sais. Cependant, quand je partis, je sentis se déchirer le cordon qui m'attachait à ma tombe et à mon corps terrestre. J'étais libre, libre pour évoluer, solitaire, où bon me semblerait. Que se passa-t-il alors? Des larmes de reconnaissance me reviennent aux yeux. Je m'effondre presque en essayant de décrire ce qui suivit. Alors, elle, que nous croyions si faible pour nous obliger à décider à sa place, me rappela avec la toute puissance d'un amour auquel personne n'osa s'opposer. Elle ne pourrait jamais m'abandonner, disait-elle, aussi longtemps que je l'aimerais. "Que ton passé soit comme il veut, que tu sombres même au plus profond des enfers, je ne cesserai pas de t'aimer et d'essayer de te suivre. Je réclamerai le droit à l'amour, je t'assisterai, te consolerai et t'encouragerai jusqu'à ce que dans Sa Grâce, Dieu puisse te pardonner ton passé et t'élever à nouveau." Alors je m'effondrai et pleurai, comme seul un homme fort et fier dont le cœur était martyrisé et endurci peut pleurer jusqu'à ce que le contact d'une main aimée arrête les larmes. Alors je revins auprès de mon amie et m'agenouillai à ses côtés. On ne me permit pas de la toucher. Mais le paisible et bel esprit qui la protégeait lui confia que sa prière était entendue et qu'elle devrait me reconduire, en fait, vers la Lumière. Puis je quittai ma bien-aimée. Alors que je m'éloignais, je vis la forme d'un ange vibrer au-dessus d'elle pour la réconforter et la consoler, elle qui, de son côté, était mon ange lumineux. Je la laissais en compagnie de ces esprits pour partir et m'en éloigner, jusqu'à ce que sa voix me rappelât de nouveau à ses côtés. Après un court sommeil que ces esprits purs firent descendre sur elle, ma bien-aimée s'éveilla le matin suivant. Inquiète, elle alla rendre visite à un homme bon qu'elle avait découvert en cherchant un chemin lui permettant d'entrer en relation avec moi au-delà de la tombe. Si ce qu'on annonçait sur les spirites n'était pas un leurre, elle espérait, grâce à l'aide de ce dernier, pouvoir me parler à nouveau. Guidé par ceux qui veillaient sur elle, elle était allée trouver cet homme. C'était un médium connu. C'est lui qui lui avait appris qu'il lui était possible, à elle aussi, de recevoir des messages du soi-disant mort, si elle s'y efforçait avec constance. C'est seulement plus tard que j'appris cela. En ce temps là, je me sentis seulement convié à venir. Obéissant à son appel, je me retrouvai bientôt dans une petite chambre, autant que je pouvais le discerner. Pour moi tout cela était encore obscur, à l'exception de l'endroit où la lumière brillait faiblement dans l'entourage de ma bien-aimée, semblable à une étoile. Je me trouvais chez ce brave homme chez qui elle s'était rendue, et c'était sa voix qui m'avait appelé. Elle lui racontait ce qui s'était passé la nuit précédente, combien elle m'aimait et combien elle désirait me consacrer sa vie entière, si elle pouvait m'aider de la sorte. Cet homme lui dit des paroles si réconfortantes qu'aujourd'hui je le remercie encore de tout cœur, car il me remplit alors d'espérance. Il l'informa que le cordon du corps terrestre se rompait à la mort et que j'étais libre de l'aimer, autant qu'elle le pouvait elle aussi. Son amour m'apportait plus de consolation et d'espoir que tout autre. Il me facilitait également la voie de l'expiation. Mon amour pour elle avait été une pure et vraie inclinaison, et son amour pour moi était plus fort que la mort elle-même dont il avait surmonté toutes les barrières. Cet homme me donna l'occasion de lui parler et de lui éclaircir beaucoup de choses que, la nuit précédente, alors que mon cœur blessé était encore rempli de fierté, je n'aurais pu lui expliquer. Par cette entremise, il me fut possible de lui exposer tout ce que mon passé pouvait avoir d'excusable. Il me laissa lui dire que malgré le mal que j'avais commis, je l'avais aimée d'un amour que je n'avais ressenti pour aucune autre personne. Il la tranquillisa et la réconforta. Je lui fus reconnaissant de sa bonté. Le cœur joyeux et plein d'espérance, nous le quittâmes finalement et j'accompagnai en chemin ma bien-aimée vers sa maison. Arrivé là, je remarquai qu'une nouvelle barrière avait été érigée par ses deux frères et l'esprit qui la protégeait. Une invisible muraille que je ne parvenais pas à franchir l'entourait. Je n'étais pas capable de la suivre ni de m'approcher tout à fait d'elle. Je décidai alors de revenir chez le brave homme et de voir s'il pouvait m'aider. Mon désir parut me ramener en arrière car, bientôt, je me retrouvai chez lui. Il eut aussitôt conscience de ma présence, et je remarquai curieusement qu'il pouvait comprendre ce que je lui disais. Il saisissait le sens de ce que je désirais lui dire et me raconta beaucoup de choses me concernant. Il m'assura que tout se déroulerait pour le mieux, si je voulais me montrer patient. Les barrières spirituelles que ses proches élevaient autour de mon aimée seraient brisées à tout moment par elle, rien ne pouvait m'exclure de son amour, aucune muraille n'était, à cet effet, en état de le faire. Je devais seulement essayer de comprendre les choses spirituelles et travailler pour progresser. L'écart existant entre mon aimée et moi diminuerait et finalement disparaîtrait. Consolé, je quittai enfin mon ami et m'éloignai à nouveau. Vers où? je ne sais pas. Maintenant je commençais à prendre vaguement conscience que, dans mon voisinage, d'autres êtres me ressemblant évoluaient autour de moi, bien que je les perçusse à peine. Je me sentais si solitaire et si abandonné que je songeais à rejoindre ma tombe, l'endroit qui m'était le plus familier jusqu'ici. Cette pensée parut me porter car bientôt je me retrouvai à cet endroit. Les fleurs apportées par mon aimée étaient maintenant flétries. Elle était restée deux jours sans venir à ma tombe. Depuis qu'elle m'avait parlé, elle paraissait avoir oublié le corps qui reposait en terre. C'était mieux, pour moi comme pour elle, d'oublier le cadavre et de ne plus penser qu'à l'esprit vivant. Mais ces fleurs fanées parlaient aussi de son amour. J'essayai de saisir une rose blanche et de la prendre avec moi. Je ne parvins toutefois pas à la saisir de la moindre manière, ma main glissait sur elle comme sur le reflet d'une rose dans une glace. A la tête de ma tombe s'élevait une croix blanche en marbre. J'y remarquai les noms des deux frères de ma bien-aimée. Je découvris ainsi ce que, dans son amour, elle avait fait pour moi. Elle avait voulu que mon corps reposât auprès de ceux qui lui étaient les plus chers! Mon cœur en fut touché, et des larmes coulèrent comme de la rosée sur mon cœur, en dissipant toute amertume. IV Je me sentis si seul que je me levai et me mêlai aux ombres noires qui circulaient. Très peu d'entre elles se tournaient vers moi pour me regarder. Probablement qu'elles ne pouvaient elles-mêmes me distinguer qu'à peine. Toutefois, trois ombres noires, paraissant être un homme et deux femmes, me dépassèrent puis, soudain, se retournèrent pour revenir sur leurs pas et me suivre. L'homme me toucha le bras en disant: "Pourquoi sembles-tu si pressé ? Tu es sûrement arrivé depuis peu en ce monde, sinon tu ne t'enfuirais pas. Ici, rien ne presse! Nous savons tous que nous avons une éternité pour y évoluer." Puis, il se mit à rire d'un air sarcastique qui me fit frémir. Tandis que l'une des femmes me prenait le bras droit et l'autre le bras gauche, elles me dirent: "Viens avec nous, nous te montrerons comment jouir encore de la vie bien que tu sois mort. Nous n'avons plus notre propre corps pour nous divertir grâce à lui, mais nous pouvons nous en faire prêter un par un mortel quelconque durant quelque temps. Viens avec nous, nous te prouverons que toutes les joies ne sont pas encore supprimées pour nous." Dans ma solitude, j'étais heureux d'avoir trouvé quelqu'un à qui parler. Bien que tous trois, les femmes encore plus que l'homme, me parussent extrêmement révoltants, j'étais tenté d'accepter leur compagnie et de voir ce qui allait arriver. Je venais de faire demi-tour pour me joindre à eux quand j'aperçus dans le lointain, semblable à une image illuminée dans un ciel noir, le visage fin-matériel de ma pure et douce bien-aimée. Sa voix retentissait maintenant à mes oreilles comme un appel du ciel: "Oh ! Prends garde ! Prends garde ! Ne va pas avec eux. Ils ne sont pas bons. Leur chemin ne peut conduire qu'à la perdition." Puis, la vision disparut. Comme m'éveillant d'un rêve, je me dégageai de ces trois personnes pour me perdre à nouveau dans les ténèbres. Où et pour combien de temps? Je ne sais! En m'enfuyant de là, je cherchais à me débarrasser des souvenirs peu édifiants et il me semblait que rien ne s'opposerait à ce que je parcoure le monde entier. En fin de compte, pour reprendre haleine, je me laissai tomber à terre. Celle-ci me parut assez ferme pour me supporter. Pendant que j'étais ainsi assis, je vis une lumière luire à travers les ténèbres. Je m'en approchai. D'une chambre que je parvenais à discerner jaillissait un flot de lumière. Mes yeux éblouis me faisaient mal comme si j'avais regardé le soleil de midi sur la Terre. Ne pouvant supporter cette lumière je voulus aussitôt me retirer, mais une voix s'éleva: "Arrête-toi, voyageur fatigué ! Ici tu trouveras des cœurs aimants et des mains secourables qui se tendront vers toi. Rentre si tu veux voir ta bien aimée car elle est ici et tu peux lui parler". Puis je sentis (car pour voir cela m'était impossible) comme une main me tirer le manteau sur la tête pour atténuer l'éclat de la lumière et me guider vers la chambre où je m'assis dans un grand fauteuil. Une paix si profonde régnait dans cette pièce que je crus avoir trouvé le chemin du paradis. Un instant plus tard, je regardai et distinguai deux douces et nobles dames qui me parurent être des anges. Je pensai, quant à moi, être parvenu auprès du ciel. Ma vue devenant plus perçante, je pus mieux voir. Auprès de ces belles et bonnes femmes, je vis avec joie ma bien-aimée elle-même sourire tristement mais tendrement vers l'endroit où j'étais assis, cependant que l'une d'elles, d'une voix calme, me décrivait à ma bien aimée. Elle en parut satisfaite et leur raconta la remarquable expérience qu'elle avait faite et qui lui avait paru se dérouler ainsi qu'un rêve étrange. J'essayai alors de l'appeler, de lui expliquer que j'étais réellement là, que je vivais encore, continuais à l'aimer et avais foi en son amour. Mais un lien me maintenait et je ne parvenais pas à me mouvoir. Une puissance inconnue paraissait m'accabler et me retenir en arrière. Alors ces dames aimables parlèrent. Je sus ainsi qu'elles n'étaient pas des anges car toutes deux se trouvaient encore dans leurs corps terrestres et ma bien aimée pouvait les voir et leur parler. Elles s'entretinrent longuement de l'espoir qui subsiste pour un pêcheur tel que moi. Maintenant, la voix qui m'avait appelé pour entrer me demandait si je désirais qu'une de ces dames transmette un message de ma part. "Oui ! répondis-je, mille fois oui !" L'esprit invita alors la femme à écrire. Je dis à ma bien-aimée que je vivais et l'aimais encore. Je la priai de ne jamais cesser de penser à moi car j'avais besoin de tout son amour et de toute son aide pour me maintenir dans la bonne voie. Pour elle j'étais toujours le même malgré ma faiblesse et ma détresse, bien que ne pouvant me rendre visible à ses yeux. Elle répondit ensuite à mon discours avec des mots que je ne peux transcrire. Ils me sont trop sacrés et reposeront pour toujours en mon cœur. Le temps qui s'écoula après cet entretien me parut être un profond sommeil. Quand j'eus quitté cette chambre et m'eus déplacé quelque peu, je me sentis si épuisé que je m'effondrai sur le sol dans une inconscience sans rêve. Quelle importance pouvait avoir pour moi l'endroit où je reposais puisque tout était noir autour de moi? Combien de temps dura mon sommeil? Je ne puis le dire! A ce moment-là, je n'avais pour tout moyen d'évaluer le temps que la somme des souffrances et des misères par lesquelles il me fallait passer. De ce sommeil léger je m'éveillai quelque peu réconforté, et tous mes sens me semblèrent plus forts qu'auparavant. Je pouvais me mouvoir plus rapidement. Mes membres me paraissaient plus forts et plus libres, et je me sentais maintenant une envie de manger inconnue jusqu'ici. Mon exigence devint si grande en fin de compte que je me mis à la recherche de quelque nourriture. Je découvris finalement quelque chose ressemblant à du pain sec et dur. Ce n'était que quelques croûtes mais je les mangeai avec appétit et m'en trouvai satisfait. Ici, je voudrais ouvrir une parenthèse. Les esprits se nourrissent de la partie fin-matérielle de leur alimentation. Ils ressentent une faim et une soif aussi vives que vous sur la Terre bien que ni le repas ni la boisson ne puissent être vus de vos yeux physiques, ainsi qu'il en est pour notre corps fin-matériel. Toutefois le manger et le boire ont pour nous une réalité objective. Si au début, je me détournais avec dégoût de cette croûte sèche, il fallut bien me dire après une courte réflexion que je n'avais aucun moyen de me procurer autre chose. J'étais à comparer à un mendiant et devais me contenter de la nourriture d'un mendiant. Mes pensées se tournèrent à nouveau vers ma bien-aimée et emmenèrent avec elles mon esprit, de telle sorte que je pénétrai à nouveau dans cette chambre où je l'avais vue précédemment avec les deux femmes. Cette fois je pus rentrer de suite et je fus reçu par deux esprits masculins que je ne pouvais voir que faiblement. Il semblait qu'entre nous un rideau fût tendu, au travers duquel je distinguais ces deux esprits, les femmes et ma bien-aimée. On m'invita à faire parvenir à nouveau un message. J'étais surtout désireux de voir si je pouvais essayer de faire écrire moi-même mes paroles par ma bien-aimée, ainsi que l'avait fait son esprit protecteur. On m'autorisa cet essai. Mais, à ma déception, je n'y parvins pas. Elle demeurait sourde à tout ce que je disais. Ainsi me fallut-il transmettre mes pensées et faire écrire les femmes pour moi comme auparavant. Sitôt que mon message fût donné, je me reposai un court instant et observai le visage ravi de ma bien-aimée, semblable aux jours heureux du passé. Ma contemplation fut interrompue par l'un des deux esprits masculins : Un sérieux jeune homme autant que je pus le distinguer. Il me parla d'une voix tranquille et amicale, me disant que si je désirais faire écrire moi-même mes paroles par ma bien-aimée, il serait bon de m'affilier auparavant à une confrérie de pénitents. Dans celle-ci, on m'enseignerait la voie vers le Bien et je pourrais apprendre ainsi par eux beaucoup de ce que j'avais toujours ignoré jusqu'ici. Par les enseignements de ces frères, je n'aurais pas seulement la faculté d'influencer l'esprit de ma bien-aimée, mais aussi celle d'acquérir le privilège envié d'être parfois auprès d'elle durant son existence terrestre. Cette voie de l'expiation était très pénible. Il y avait de nombreux degrés jusqu'à son terme. Les peines et les souffrances étaient nombreuses. Mais cette voie conduisait finalement vers un beau et heureux pays où je reposerais dans une félicité telle que je ne pouvais l'imaginer. Il m'affirma que mon corps déformé, que je cachais encore si anxieusement aux yeux de ma bien-aimée, se modifierait conformément à la transformation de mon esprit. Il redeviendrait beau à voir et sa vue ne la troublerait plus. Si je continuais à demeurer plus longtemps sur le plan terrestre, je serais probablement à nouveau attiré par les lieux de mes précédents plaisirs. Dans cette atmosphère de déchéance spirituelle, je perdrais bientôt la force de séjourner dans les parages de mon aimée. Ceux qui veillaient sur elle se verraient alors contraints, par égard pour elle, de m'exclure de son voisinage. D'autre part, si je m'affiliais à cette Confrérie de l'Espoir et du Travail, je deviendrais si instruit et si fortifié qu'après un certain temps je pourrais revenir sans danger sur le plan terrestre. D'ici là, j'aurais acquis assez de force de caractère pour résister à ces tentations. Avec un désir croissant d'en apprendre davantage sur cette confrérie, je prêtais l'oreille avec étonnement aux paroles de cet esprit amical. Je le priai en conséquence de bien vouloir m'y conduire. Il promit de le faire et m'expliqua en même temps qu'il suffisait de ma propre volonté pour m'y transférer. "Si tu désires y aller, m'expliqua l'esprit, tu peux le faire de suite. Dans le monde des esprits, chacun est libre. Tous vont vers l'endroit où leurs propres vœux ou désirs les conduisent. Si tu désires donner du champ à de plus pures et plus hautes aspirations, les moyens de les réaliser te seront accordés. Tu reçois dès lors autant d'assistance et de force qu'en requière ton intention. Tu es l'un de ceux qui n'ont jamais appris à connaître la force de la prière. Mais toutes choses nous sont données en partage sur notre prière, que nous en soyons ou non conscients. Tous tes désirs vers le bien ou vers le mal sont également des prières et appellent à toi de bonnes ou de mauvaises puissances afin de les accomplir." Comme je me sentais à nouveau épuisé, l'esprit me conseilla de faire mes adieux à mon amie pour quelque temps. Il m'expliqua que je gagnerais en force si je la quittais pendant le temps de mon séjour à l'endroit évoqué et qu'elle aurait elle-même le calme pour retrouver de nouvelles forces. Il serait bon également qu'elle n'essayât pas d'écrire durant trois mois, car il lui avait été demandé beaucoup de forces médiales. Elle serait très affaiblie si elle ne s'accordait pas un répit. De l'autre côté, j'aurais besoin de tout ce temps pour étudier les choses les plus simples qui m'étaient nécessaires pour gagner une influence sur ma bien-aimée. Ah! Combien cela nous fut pénible à tous deux de faire cette promesse! Mais elle me donna le bon exemple et je ne pouvais faire mieux que de la suivre. Comme elle, je voulais être patient et fort, et je fis un vœu: Si Dieu, que j'avais oublié si longtemps, se souvenait de moi et me pardonnait, je consacrerais toute ma vie et toutes mes forces à réparer mes injustices passées... Ainsi, je quittai donc pour quelque temps le plan terrestre troublé du monde astral, dont j'avais jusqu'à présent pu voir peu de choses, mais dans lequel je devais encore beaucoup expérimenter et endurer. Quand je quittai la chambre avec mon nouveau guide, je me tournai encore une fois vers mon amie et lui fis un signe d'adieu de la main. Je demandai à tous les bons anges de Dieu que je n'osais prier pour moi-même, de la bénir et de la prendre pour toujours sous leur protection. La dernière chose que je vis fut ses yeux qui me suivaient avec une expression d'amour et d'espoir. Le souvenir de ce regard m'a maintenu dans le droit chemin en de nombreuses occasions difficiles et fort douloureuses. V Dans le monde des esprits, il existe plus d'un endroit remarquable, plus d'une vue merveilleuse et de nombreuses sociétés d'assistance aux âmes repentantes. Mais je n'ai jamais rien vu de plus étrange que cette maison de la "Confrérie de l'Espoir" vers laquelle je fus dirigé. En raison de la faiblesse de toutes mes facultés spirituelles d'alors, il ne m'était pas possible de différencier les choses et de dire à quoi elles ressemblaient. J'étais presque sourd, muet et aveugle. Quand j'étais en compagnie de mes semblables; je pouvais à peine les voir, les entendre et me faire comprendre d'eux. Et lorsque j'étais en état de voir un peu, j'avais l'impression de me trouver dans un espace sombre avec un vague éclat de lumière tout juste suffisant pour discerner où j'allais. Je n'avais pas éprouvé cela sur le plan terrestre car là, bien que tout fût voilé et sombre, je pouvais voir et entendre assez pour être conscient de mon entourage. Par suite de ma montée à cette faible hauteur au-dessus de la Terre, j'avais le sentiment du vide autour de moi. Seules les enveloppes les plus grossières de mon esprit me semblaient exister. Cette période des ténèbres fut pour moi si affreuse que j'aimerais évoquer la lumière du soleil que j'avais tant aimée. J'étais issu d'un pays plein de splendeur et baigné de soleil; les riches couleurs et la variété, le ciel clair, les fleurs et la campagne étaient si superbes, j'aimais tellement la lumière, la chaleur et la musique! Partout, depuis ma mort, je n'avais trouvé ici que ténèbres et froid, une horrifiante obscurité m'enveloppant ainsi qu'un noir manteau duquel je ne pouvais me libérer d'aucune manière. Ces épouvantables ténèbres oppressaient mon esprit plus que toute autre chose. Sur Terre je m'étais montré orgueilleux et hautain. Le sang de la fière noblesse de mon peuple coulait dans mes veines. Par ma mère, j'étais apparenté à tous les grands de la Terre dont l'ambition dirigeait les royaumes à leur gré. Et maintenant? Le plus humble, le plus petit et le plus pauvre des mendiants des rues de ma capitale était plus grand et plus heureux que moi car, pour le moins, il avait de l'air frais et la lumière du soleil, pendant que j'étais semblable à un prisonnier descendu dans les cellules les plus profondes d'une prison. Si je n'avais pas maintenu ma pensée dirigée vers mon étoile d'espérance, vers mon ange de lumière et son amour, j'aurais sombré dans le plus profond désespoir. C'est lorsque j'évoquais son doux sourire et ses bonnes paroles que je reprenais courage et m'efforçais d'être patient et fort. Mais tout cela était nécessaire à mon avancement, car commençait pour moi une période de souffrances et de luttes que je parviendrai difficilement à rendre compréhensible à d'autres. Il ne m'était pas possible d'examiner pleinement dans tous ses détails l'endroit où je me trouvais alors. Dans ses contours sombres et obscurs, il ressemblait à une effrayante prison. Je remarquai par la suite que c'était un grand bâtiment de pierres d'un gris sombre qui me parurent être aussi denses que des roches terrestres. La construction se composait de nombreux et longs couloirs et de plusieurs halls spacieux auxquels se rattachaient d'innombrables petites cellules insuffisamment éclairées et médiocrement équipées. Chaque esprit disposait ici de ce qu'il avait mérité dans sa vie terrestre. Quelques-uns n'avaient rien d'autre que le petit lit sur lequel ils s'allongeaient et souffraient. Car tous ici souffraient! C'était une maison d'affliction dans laquelle je me trouvais, et cependant une maison de l'espoir. En effet, chacun aspirait à s'élever vers la Lumière. Pour chacun le temps de l'espoir avait commencé. Tous avaient posé le pied sur l'échelon le plus bas de l'échelle de l'espérance, qu'ils devaient gravir pour se hisser, avec le temps, jusqu'au Paradis, jusqu'au Ciel. Dans ma propre petite cellule, je disposais uniquement de mon lit, d'une chaise et d'une table, et rien de plus. Je passais mon temps couché dans ma cellule à méditer. Parfois, avec ceux qui, comme moi, avaient repris suffisamment de forces, j'allais assister aux conférences données pour nous dans le grand hall. Les lectures étaient d'une nature très émouvante. Faites sous forme de contes, elles trahissaient toujours l'intention de faire prendre conscience de ses torts à l'un ou l'autre d'entre nous. Partant du point de vue d'un spectateur impartial, on s'évertuait à nous faire comprendre toute la portée de nos agissements et à nous montrer où nous avions manqué et précipité une autre âme dans la perdition, en satisfaisant notre propre goût du plaisir. Ainsi des fautes commises sous prétexte que tous s'en rendaient coupables ou parce que nous nous étions cru dans notre droit. Le revers de la médaille nous était à présent démontré et, en vérité, par ceux-là mêmes qui avaient été nos victimes ou, dans le cas où nous n'avions pas été directement responsables, par les victimes du système social maintenu par nous afin de pouvoir satisfaire nos passions égoïstes. Ceux d'entre vous qui connaissent la corruption des grandes villes sur la Terre sont à même d'imaginer l'opération. Les descriptions de nos propres faiblesses de caractère ternissaient tout l'éclat mondain de la vie terrestre. Le cœur humilié et contrit, nous devions rejoindre nos cellules pour méditer sur notre passé et sur la manière d'expier nos fautes dans l'avenir. Nous éprouvâmes un grand soulagement à constater que, tout en nous décrivant nos fautes et leurs suites, on nous indiquait la manière de les réparer et celle de maîtriser nos envies mauvaises. Nous fûmes instruits à protéger du mal, par nos futurs efforts, ceux-là mêmes dont nous avions été victimes en expiation de nos péchés. L'intention était de nous préparer par cet enseignement à notre prochain degré de développement, en vue de notre renvoi sur Terre pour assister les vivants aux prises avec les tentations terrestres. Quand nous n'assistions pas aux conférences, il était permis à ceux d'entre nous qui se sentaient suffisamment forts pour se mouvoir, d'aller où bon leur semblait. Ceux qui avaient laissé sur Terre de bons amis partaient les visiter, ou du moins les voir, bien qu'inaperçus d'eux. Mais on nous recommandait toujours de ne pas nous attarder dans les tentations du plan terrestre, car il serait pénible à beaucoup d'y résister. Les plus forts parmi nous qui en avaient la faculté et désiraient l'utiliser furent incités à magnétiser les plus faibles d'entre nous, tels ceux qui, par un gaspillage excessif de leur force vitale durant leur vie terrestre, se trouvaient souvent dans un tel état lamentable d'épuisement qu'ils ne pouvaient que rester allongés dans leur cellule pendant que d'autres esprits leur apportaient un peu de soulagement en les magnétisant. Ici il me faut décrire une étonnante méthode de guérison exercée dans la "Maison de l'Espoir." Quelques esprits avancés, dont l'envie et l'aptitude en faisaient des guérisseurs et des naturopathes, soignaient, en relation avec d'autres esprits, les maladies des plus atteints d'entre nous ; l'utilisation conjointe de leur magnétisme et de la force des autres éteignait temporairement le tourment de l'âme de ces pauvres esprits. Quand, par la suite, leurs vieilles douleurs renaissaient, leur esprit avait entre temps retrouvé de la vigueur pour les supporter. En raison du développement progressif de leurs corps fin-matériels, leurs douleurs s'amoindrissaient finalement au point qu'ils devenaient capables d'en magnétiser eux-mêmes d'autres et de suspendre ainsi momentanément leurs douleurs. Il ne m'est pas possible de faire une description précise de cet endroit et de ses occupants. Bien qu'ayant une grande ressemblance avec un hôpital terrestre, il y avait beaucoup de choses qui ne ressemblaient à rien de ce que l'on voyait jusqu'ici sur Terre. Tout y était si sombre, parce que les malheureux qui habitaient là n'avaient en eux rien de l'éclat dont les esprits heureux illuminent leur atmosphère. Car c'est l'état même de l'esprit qui apporte lumière ou ténèbres dans son entourage. L'impression d'obscurité déterminant une cécité quasi-complète chez ces pauvres esprits étaient provoquée par le fait que les sens de leur esprit n'avaient pas été développés au cours de leur vie terrestre. Ainsi, ils restaient aussi insensibles à l'égard de leur entourage que le sont sur Terre les nouveau-nés aveugles et sourds-muets, qui restent inconscients des choses pleinement perçues par ceux pourvus de tous leurs organes des sens. Quand ces malheureux esprits venaient dans l'atmosphère des plans terrestres appropriée à leur degré d'évolution, ils se trouvaient toujours dans une certaine obscurité. Ils avaient toutefois la faculté de voir les esprits semblables à eux, avec lesquels ils venaient en contact direct. Il en allait de même avec tel mortel se trouvant sur un degré inférieur de développement spirituel. Par contre, sont pour eux à peine perceptibles ou tout à fait invisibles, les mortels plus évolués spirituellement et les désincarnés à l'esprit plus avancé. Les "Frères de l'Espoir travaillants", ainsi qu'on les appelle, sont munis d'une toute petite lumière en forme d'étoile dont les rayons éclairent l'obscurité de la cellule où ils pénètrent et ainsi, partout où les Frères se trouvent, ils apportent la lumière de l'espoir. Au début, j'étais moi-même si souffrant que je restais presque toujours allongé et fatigué dans ma cellule. Pendant que j'attendais qu'arrivât à nouveau jusqu'à ma porte, par le long couloir, cette étincelle tremblotante, je réfléchissais sur le temps terrestre qui pouvait bien s'écouler en même temps. Mais cet état d'abattement ne dura pas trop longtemps. Il en alla pour moi mieux que pour les pauvres esprits qui, outre leurs autres passions, étaient chargés en plus du vice de l'ivrognerie. Mon esprit était trop clair et mon désir de perfectionnement trop fort pour me laisser trop longtemps inactif. Dès que je fus en état de remuer, je sollicitai l'autorisation de pouvoir me rendre utile en faisant quelque chose, même de peu d'importance. Comme j'étais doté d'un fort magnétisme, on m'invita à prêter assistance à un malheureux jeune homme qui, à chaque mouvement qu'il tentait vainement de faire, se plaignait et soupirait constamment. Pauvre homme! Il n'avait que trente ans lorsqu'il avait dû quitter la Terre. Mais il était arrivé au bout de sa courte vie en gaspillant ses forces de telle manière qu'il s'était lui-même détruit prématurément. Maintenant, son esprit souffrait effroyablement de l'abus qu'il avait fait de son corps, au point que je pouvais à peine supporter sa vue. Mon devoir consistait à faire sur lui des passes apaisantes et à lui apporter ainsi quelque adoucissement, avant qu'un esprit plus avancé ne vienne pour le transférer dans un état d'inconscience qui lèverait complètement sa souffrance. Je souffrais beaucoup pendant ce temps, aussi bien corporellement que psychiquement et spirituellement car, dans les plus basses sphères, l'esprit ressent également les souffrances corporelles. Par la suite, la souffrance devient de nature plus psychique et plus spirituelle dans la mesure où l'esprit progresse. Les enveloppes éthériques plus fines d'un esprit plus élevé deviennent presque insensibles à toute espèce de souffrance corporelle. Mais en reprenant des forces se réveillaient aussi mes convoitises. Souvent, elles me causaient de telles misères que j'étais tenté d'imiter beaucoup d'esprits malheureux, c'est-à-dire de repartir sur Terre et de chercher le moyen de les satisfaire grâce aux corps des vivants de la Terre. Mes douleurs corporelles étaient très grandes, car la force physique dont j'avais été si fier sur Terre m'apportait plus de souffrances qu'à ceux qui avaient été faibles. Ainsi qu'il en est des muscles d'un athlète qui, après surmenage, commencent à se contracter et à lui causer beaucoup de mal, la force et la vigueur dont j'avais abusé sur Terre commençaient, par leurs inévitables effets rétroactifs, à causer à mon enveloppe fin-matérielle d'intenses douleurs. Du fait que j'allais toujours en me fortifiant et que je retrouvais la faculté de jouir de ce qui m'avait paru sur Terre digne d'intérêt, mes exigences de ces joies croissaient de plus en plus, si bien que j'étais à peine capable de me retenir de retourner sur le plan terrestre et d'y jouir de tous les plaisirs des sens en utilisant les corps des vivants qui, par leurs basses convoitises, se trouvaient sur le même degré que les esprits du plan terrestre, et représentaient pour nous un tel attrait. Beaucoup d'habitants de la "Maison de l'Espoir" succombaient à la tentation. Ils descendaient sur Terre un certain temps et, après une période plus ou moins longue, retombaient, épuisés, plus bas encore que leur précédent degré de développement. Chacun était libre d'aller et venir à son gré. Dès qu'ils le désiraient, tous pouvaient revenir, car les portes du "Foyer de l'Espoir" n'étaient fermées à aucun, aussi ingrat et indigne qu'il eût été. Je me suis longtemps étonné de la patience infinie et de l'indulgence témoignées à l'égard de nos faiblesses et de nos péchés. En fait, nous ne pouvions que prendre en pitié ces pauvres malheureux qui s'étaient rendus esclaves de leurs basses convoitises au point de ne plus pouvoir y résister. Ils étaient sans cesse attirés vers la Terre. Finalement, dégoûtés et épuisés, ils ne parvenaient plus à se remuer, ainsi que le jeune homme que je soignais. J'aurais moi-même succombé à la tentation si la pensée de mon pur amour et l'espoir qu'il me donnait ne m'avait rappelé à de meilleurs sentiments. Je ne pouvais donc pas condamner des pauvres âmes égarées auxquelles un pareil soutien faisait défaut. Souvent j'allais sur Terre, mais seulement là où se tenait ma bien-aimée. A ses côtés, dans la pure atmosphère de son être, son amour me tenait éloigné de toute tentation. Comme cette barrière invisible prescrite par là-haut m'empêchait de l'approcher suffisamment pour la toucher, je me tenais à l'extérieur et la regardais assise à travailler, lire ou dormir. Lorsque j'étais là, elle en avait toujours plus ou moins conscience. Elle murmurait mon nom ou bien se tournait vers moi avec ce doux sourire triste dont j'avais emporté le souvenir et qui était ma consolation à mes heures de solitude. Elle paraissait très triste, mon pauvre amour! Elle était si pâle et si délicate que j'en avais mal au cœur, malgré la consolation que sa vue me causait. Il me fallait constater que, malgré son courage et la gaieté de son espérance, ce combat était pour elle trop pénible, car chaque jour sa mine devenait plus délicate. Elle avait à subir alors des épreuves de toutes sortes. Sa famille lui causait beaucoup de contrariétés; le doute et la crainte l'oppressaient en raison de ses relations avec le monde des esprits. Elle-même se demandait parfois si tout ce qu'elle vivait n'était pas une grande mystification, un rêve dont elle allait s'éveiller en découvrant qu'aucun lien n'existait entre les morts et les vivants, aucun moyen ni aucune voie pour me joindre à nouveau. Un sourd désespoir nous saisissait alors l'un et l'autre. Je me tenais à ses côtés dans l'incapacité de me faire remarquer et priais que l'on veuille bien lui faire savoir d'une manière ou d'une autre que j'étais là. Une nuit, elle s'était endormie après avoir longuement pleuré. Alors que moi-même j'aurais pleuré de chagrin avec elle, je fus touché à l'épaule. Levant les yeux, je vis l'esprit protecteur de mon amie qui m'avait autrefois aidé dans une conversation avec elle. Il me dit que si je consentais à me dominer et à me tenir tranquille, il me permettrait d'embrasser ma bien-aimée pendant son sommeil; enthousiasmé à cette perspective, je le promis aussitôt. Son esprit protecteur me prit par la main. Ensemble, nous traversâmes le rempart glacé et transparent si impénétrable pour moi jusqu'ici. Mon guide s'inclina au-dessus d'elle et fit quelques signes bizarres de la main. Il prit une de mes mains quelques instants dans les siennes et me pria de la toucher très légèrement. Elle était allongée dans un sommeil paisible, les cils encore baignés de larmes et les lèvres entrouvertes comme si elle parlait en rêvant. L'une de ses mains était posée sur sa joue. Avec le plus grand soin afin de ne pas la réveiller, je la pris dans la mienne. Elle me serra la main à demi inconsciente, tandis qu'apparaissait sur son visage une expression de joie tellement vivante que je craignis de l'avoir éveillée. Mais il n'en était rien. L'esprit lumineux sourit et dit: " Maintenant, embrasse-la ! " Je m'inclinai sur elle à la toucher et lui donnai mon premier baiser. Non seulement un mais plusieurs, et si passionnément qu'elle s'éveilla et que je fus tiré vivement en arrière par l'esprit lumineux. Elle regarda autour d'elle en demandant doucement: "Ai-je rêvé ou était-ce mon bien-aimé ? - Oui," répondis-je, et elle parut m'entendre car elle me sourit très tendrement puis répéta sans cesse mon nom pour elle seule. On ne m'autorisa pas avant longtemps à toucher à nouveau mon amour, mais je me rendis souvent auprès d'elle et après chacune de ces entrevues, la joie régnait en nos cœurs durant plusieurs heures. Je me rendais bien compte de quelle nature mon baiser avait été pour elle. Pour moi-même, il était comme une ancre d'espoir qui me permettrait, avec le temps, de lui rendre sensible mon contact et de dialoguer avec elle. Pour moi arriva finalement le moment de quitter la "Maison de l'Espoir", fortifié par son enseignement, pour aller expier mes péchés sur le plan terrestre et dans les sphères plus basses où je m'étais attardé pendant ma vie terrestre. Ma vision et mes autres sens s'étaient développés au point que je pouvais voir et entendre clairement, et parler distinctement. Maintenant, une lueur mate et incertaine, pareille au petit jour, m'entourait. Bien qu'en ses débuts cette trouble lumière fut à mes yeux fort bienvenue, je commençai bientôt à aspirer de plus en plus à une lueur du jour plus claire. Très vite, cette lueur terne d'un demi-jour me devint monotone et accablante. Les régions dans le troisième cercle du plan terrestre et celles de la première sphère sont appelées les "Pays du Crépuscule". Ici viennent tous les esprits égoïstes et sensuels dont les âmes n'ont pu parvenir à un degré supérieur de développement. Mais ces habitants des "Pays du Crépuscule" se tiennent encore sur un degré au-dessus de celui des esprits fantômes du plan terrestre, effectivement liés à la Terre, c'est-à-dire ensorcelés à leur lieu d'habitation précédent. Mon travail sur Terre débuta dans ces endroits très visités que le monde appelle "établissements de plaisir" ou "maisons de tolérance", bien qu'aucun plaisir ne soit aussi fugace et n'aboutisse aussi sûrement à l'abâtardissement, préparé ainsi aux hommes pendant leur vie sur Terre. J'avais l'occasion d'apprécier maintenant la valeur de l'expérience acquise pendant mon séjour à la "Maison de l'Espoir". Ce qui jadis me tentait fortement n'offrait plus pour moi aucun attrait. Je connaissais trop bien le genre de satisfactions que procuraient de tels plaisirs, ainsi que la dette à acquitter, pour succomber à la tentation d'utiliser pour moi-même le corps des mortels dont la surveillance m'était souvent confiée. Seul un petit nombre de mortels peut concevoir de nos jours que des esprits parviennent à prendre temporairement complètement possession du corps d'un homme ou d'une femme, au point de donner l'apparence que le corps n'appartient plus à l'incarné mais au désincarné. Beaucoup de cas de démence périodique sont à imputer à l'influence de mauvais et vils esprits, favorisés par la faiblesse de volonté de la personne atteinte, à l'occasion de quoi celle-ci est assujettie complètement à l'esprit désincarné. Ces choses étaient connues depuis longtemps des peuples anciens. Elles furent étudiées par eux en liaison avec d'autres branches des sciences occultes. Pour elles, nous nous estimons aujourd'hui éclairés et devenus très sages... Pourtant, ces germes de vérité des anciens temps mériteraient d'être explorés minutieusement et débarrassés des gravats dont les ont entourés les générations suivantes. L'occupation qui m'incombait désormais ne paraîtra pas moins étrange au lecteur qu'elle ne me parut à moi-même au début. La grande "Confrérie de l'Espoir" n'était pas seulement une des innombrables associations d'orientations les plus diverses, qui existent dans le monde des esprits pour l'assistance aux âmes nécessiteuses. Cette Confrérie avait des activités dans toutes les sphères. Ses membres agissaient dans les sphères les plus basses comme dans les plus élevées qui entouraient la Terre. On pouvait même en trouver dans les sphères du système solaire. Ils ressemblaient à une immense chaîne d'esprits dans laquelle le membre le plus simple et le moins important était toujours assisté et protégé par celui qui se trouvait au-dessus de lui. La Confrérie venait-elle à être avisée que son assistance était nécessaire au soutien d'un mortel en lutte ou d'un esprit malheureux, qu'aussitôt l'un des frères, celui tenu pour le plus apte, était envoyé à son secours. En pareil cas, on choisissait un frère qui, pendant sa vie terrestre, s'était trouvé dans un cas analogue à celui du nécessiteux et qui avait enduré la suite amère de ses péchés. Il arrivait souvent que l'assistance fût prêtée à un homme ou à une femme sur leur intime désir de secours et de réconfort, exprimé après leur entrée en lutte avec la tentation. Cela avait pour nous valeur de prière. Tel le cri d'un enfant de la Terre, cet appel trouvait un écho chez tous les esprits ayant été mortels autrefois. Il arrivait aussi qu'un esprit qui avait à secourir un être humain en lutte fasse appel à notre assistance. Notre devoir alors consistait à répondre à l'appel en protégeant et en influençant le nécessiteux jusqu'à ce qu'il ait pu surmonter la tentation. Il nous fallait en pareil cas nous lier si intimement au mortel que pour un temps nous devions effectivement partager avec lui toute sa vie et ses pensées. Pendant ces vies doubles au cours desquelles, en plus des soins pour un tel être humain, nous avions conscience de toutes ses pensées et ressentions comme nôtres tous ses états d'anxiété, nous avons eu souvent beaucoup à souffrir. Alors que de cette façon nous avions à vivre une nouvelle fois une tranche de notre propre passé, nous éprouvions aussi tous les soucis, le repentir et l'amertume du temps passé. Celui qui se tenait, pour sa part, sous notre influence éprouvait lui aussi, mais à un degré moindre, l'état soucieux de notre cœur. Et là où l'influence est plus complète et le mortel plus sensible, ce dernier s'imagine souvent que ce que nous avons fait nous-mêmes a été exécuté par lui, soit au cours d'une précédente vie, soit au cours d'un rêve quelconque animé dont il n'a pas un souvenir précis. Cette prise de contrôle d'un mortel par un esprit est effectuée de différentes façons. Ceux qui, de folles manières, s'exposent eux-mêmes à une telle influence, soit par une mauvaise vie, soit par une indiscrète et sacrilège recherche de secrets trop profonds pour être saisis par leur esprit, s'en apercevront à leur détriment, en ce sens que les esprits vils du plan terrestre et des sphères situées loin en-dessous exercent fréquemment sur un être humain une si grande puissance qu'il devient entre leurs mains comme une poupée dont ils peuvent utiliser le corps à leur gré. Beaucoup d'hommes et de femmes de caractère faible, qui auraient mené une vie pure et bonne dans un milieu sain, seront impliqués dans toute une série de péchés dont ils ne seront qu'en partie responsables. Pour de tels péchés, leurs auteurs mortels aussi bien que les esprits qui ont abusé d'eux auront à rendre des comptes. Une punition terrible attend chacun de ces mauvais esprits qui a conduit un être humain dans la tentation et s'est servi de son corps, car ils se sont rendus doublement coupables. En fautant eux-mêmes et en tentant d'attirer à eux une autre âme, ils sombrent jusqu'à une profondeur dont ils ne pourront souvent se dégager qu'après des dizaines d'années de souffrances continuelles, si ce n'est des centaines d'années. Il était souvent de mon devoir de surveiller et d'influencer des mortels. Ou bien j'avais à leur donner l'intuition des terribles conséquences des faux pas envisagés, ou bien, là où une influence n'était pas possible, j'avais à les préserver des esprits tentateurs du plan terrestre vagabondant autour d'eux. Contre ceux-ci, je pouvais utiliser alors ma force de volonté plus forte pour les repousser loin de là, afin qu'ils n'arrivent pas au contact de mon protégé et ne puissent pas l'influencer. Si néanmoins celui-ci avait laissé pénétrer en lui une influence des esprits mauvais, ceux-ci étaient encore en état de transférer leurs pensées et suggestions en lui, mais ne pouvaient plus le faire qu'avec difficultés. A l'époque, je croyais être seul responsable de la sécurité de celui pour qui j'étais appelé. Je ne savais pas que je formais ainsi le dernier maillon d'une longue chaîne d'esprits qui s'entraidaient tous en même temps. Dans cette chaîne, un esprit se tenait sur un degré plus élevé que l'autre, et cela constamment. Chacun d'eux devait fortifier et aider le suivant qui se tenait en dessous, lorsqu'il faiblissait ou n'était pas à la hauteur de sa tâche. Ce que je faisais devait me servir également d'enseignement à moi-même et me donner l'occasion de m'exercer avec abnégation à la renonciation de mes propres aises. Ma condition d'esprit terrestre me permettait d'opposer aux tentateurs spirituels une force de volonté matérielle plus grande que n'auraient pu le faire des esprits plus élevés et plus éthérés. Lié moi-même à la Terre, je pouvais me lier plus aisément à un mortel que n'aurait pu le faire un esprit plus avancé. C'était ma mission d'imprégner de ma propre expérience l'homme que je surveillais, avec des visions durant son sommeil ou des pensées constamment répétées dans ses états de veille; de lui faire sentir toutes les terribles souffrances du repentir et de la crainte, tout le dégoût que j'avais éprouvé moi-même et qu'il me fallait éprouver une nouvelle fois aujourd'hui dans une angoisse mortelle. Ces sentiments lui étaient longuement transférés par moi, en sa conscience et en son âme, jusqu'à ce qu'il soit de façon manifeste inquiété par la représentation des terribles suites possibles de ses pensées pécheresses. Sur ce côté particulier de mon expérience, je ne m'étendrai pas plus longtemps. Ici, dans l'au-delà, cela est chose généralement connue. J'aimerais seulement signaler que je rentrais de mes missions avec la conscience d'avoir préservé beaucoup de mortels des embûches sur lesquelles j'étais moi-même tombé plusieurs fois, et que j'expiais ainsi une partie de mes péchés. Aussi, de telles missions, que j'ai toujours remplies avec succès, me furent souvent confiées. Si, selon l'avis de ceux qui ont connu mon état à mon entrée dans le monde des esprits, j'avais accompli d'étonnants progrès et toujours pu résister aux tentations, ce succès ne devait pas m'être tellement attribué. Il était dû bien plus à la miraculeuse assistance qui m'était accordée par le fidèle et inaltérable amour de mon bon ange, dont l'image planait toujours devant mes yeux à mes moments de détresse; je n'obturais jamais la voix de ma bien-aimée mais lui obéissais toujours, alors que toutes les autres représentations ne laissaient sur moi aucune empreinte. Quand je n'avais pas à prêter assistance à un mortel, j'étais envoyé pour agir sur le plan terrestre au milieu des esprits malheureux qui, pareils à moi autrefois, évoluaient encore dans les ténèbres. Je venais alors vers eux en tant que membre de la grande "Confrérie de l'Espoir", muni de la petite lumière imitant une étoile, image fin-matérielle de cet ordre. Les ténèbres s'effaçaient autour de moi devant ses rayonnements. Je pouvais voir ainsi les malheureux esprits se traîner ça et là sur le sol ou bien accroupis dans un coin, dans un état d'abandon, trop désespérés et trop malheureux pour offrir quelque intérêt à leur entourage. Je devais attirer l'attention de ces derniers sur la possibilité de rentrer dans un Foyer semblable au mien, ou bien je leur indiquais la manière de s'aider eux-mêmes en prêtant assistance à ceux qui les entouraient et en méritant la reconnaissance des autres encore plus désespérés qu'eux-mêmes. A chacune de ces pauvres âmes souffrantes, il fallait administrer un remède différent; chacune d'elle avait fait une expérience particulière et ses péchés avaient été accomplis dans d'autres circonstances. VI Dès que mon travail à un endroit était terminé, je retournais me reposer au "Pays du Crépuscule" et logeais dans un grand bâtiment appartenant à notre Confrérie. Il offrait quelque ressemblance avec mon précédent lieu de séjour. Il n'était toutefois pas aussi sombre, aussi troublant ni aussi monotone. Dans la petite chambre attribuée à chacun se trouvaient toutes sortes d'objets dont on nous avait fait cadeau en reconnaissance de nos services. Ainsi par exemple, je disposais dans ma chambre, qui paraissait encore bien dégarnie, d'un trésor: l'image de ma bien-aimée! Elle lui ressemblait mieux qu'un tableau. Quand je l'observais attentivement, elle semblait me sourire comme si son esprit avait été conscient de mon regard. Voulais-je la voir vivre, savoir son occupation du moment? L'image alors se transformait. Elle me montrait à quoi elle était occupée à cet instant. Mes compagnons considéraient comme un grand privilège de posséder une telle image. On disait que cet avantage était dû tant à son amour et à ses fidèles pensées qu'à mes propres efforts pour m'améliorer. C'est seulement plus tard qu'on m'expliquât que cette image de Lumière avait été versée du plan astral dans ma chambre et son cadre, processus que je ne peux décrire en détail. Je possédais un autre cadeau de ma bien-aimée: une rose blanche à peine éclose dans un vase. Elle ne se flétrissait jamais et ne perdait jamais ses feuilles. Elle restait toujours fraîche et parfumée, comme le symbole de l'amour fidèle de sa donatrice. Du fait que sur Terre j'avais beaucoup aimé les fleurs et n'en avais plus eues sous ma vue depuis que mon amie en avait décoré ma tombe, mon besoin s'en était accru d'autant. Dans mon actuel lieu de séjour ne se trouvait aucune fleur, pas le moindre brin d'herbe, ni la moindre plante, encore moins de buisson ou d'arbrisseau. Le sol sec et aride de notre égoïsme ne donnait naissance à aucune verdure ni aucune fleur. A l'occasion d'une visite et après avoir pu lui transmettre par la main un court message, j'avais exposé à ma bien-aimée qu'à l'exception de son image je n'avais rien pour me réjouir le regard. Elle pria pour qu'on veuille bien me donner une de ses fleurs. Sa prière fut exaucée, car un esprit ami apporta dans ma chambre la rose blanche et son vase. Ah! Vous qui, sans soin, laissez se flétrir vos fleurs, vous ne pouvez vous imaginer l'immense joie que me causa cette rose fraîche, tout comme l'image et les quelques mots de mon amie! A ma montée de sphère en sphère, je l'ai toujours prise avec moi et ne pense pas m'en séparer un jour. J'ai effectué bien des voyages dans le "Pays du Crépuscule". Cependant, si remarquables et si différentes que pussent être les régions visitées, elles portaient toutes la marque du froid et de la désolation. L'une d'elles formait une grande vallée de rochers gris sombre. De froides collines l'entouraient, un demi-jour crépusculaire y régnait. Pas plus qu'ailleurs on n'apercevait de feuille, de brin d'herbe, de buisson entretenu ou de nuance quelconque de couleur ou de lumière! Au regard ne s'offrait que désolation, que des rochers sombres. Les esprits de cette vallée n'avaient vécu que pour eux et aimé qu'eux-mêmes. Leur cœur était toujours resté fermé à la chaleur de l'amour désintéressé. Ils avaient passé leur existence à satisfaire leurs convoitises. Maintenant, ils ne voyaient rien d'autre que la désolation et les rochers sombres de leur vie égoïste et dure. Ils étaient devenus une foule de malheureux qui erraient sans trêve, si plongés en eux-mêmes qu'ils avaient perdu complètement la faculté de voir les autres. Ces esprits restaient invisibles entre eux jusqu'à ce qu'émerge d'eux-mêmes l'idée et le désir de faire du bien à un autre. C'est à partir de là qu'ils devenaient conscients de leur entourage. Par la peine qu'ils prenaient à alléger le sort de leurs compagnons, ils s'activaient eux-mêmes. Leur pâle désir gagnait en force et la brumeuse vallée de l'égoïsme ne les retenait plus prisonniers. Par-delà cette vallée, j'atteignis une vaste région, sèche et sablonneuse, clairsemée ça et là d'une maigre verdure. Ses habitants avaient vaguement essayé d'aménager des jardins autour de leurs maisons. En certains endroits, les habitations étaient si serrées qu'elles formaient de plus ou moins grandes villes. Mais elles avaient toutes cet aspect laid et affligeant causé par la pauvreté fin-matérielle de ses habitants. C'était, là aussi, un pays de l'égoïsme et de l'envie mais qui, toutefois, n'offrait pas à l'œil de l'observateur une aussi complète indifférence que la précédente vallée. Jusqu'à un certain point, ses habitants cherchaient à entrer en relation avec leurs voisins. Beaucoup provenaient de la Vallée Grise. Mais la plupart d'entre eux arrivaient directement de la Terre. C'étaient maintenant de pauvres âmes qui combattaient et luttaient, cherchant à s'élever un peu plus haut. Chaque fois qu'elles faisaient un effort ou une tentative pour triompher de l'égoïsme, le sol aride autour de leurs maisons commençait par laisser pousser de délicats brins d'herbe et de chétives petites feuilles provenant de toutes sortes de buissons. Comme les maisons de ce pays étaient pitoyables, ses habitants déguenillés, avilis et misérables, tels des mendiants et des vagabonds! Beaucoup d'entre eux pourtant avaient compté parmi les plus riches de la Terre et, comme personnalités éminentes, avaient joui de tout le luxe qu'elle peut donner. Mais comme ils n'avaient utilisé leurs richesses qu'à satisfaire leurs propres besoins et n'avaient laissé aux autres que les pauvres miettes de leur table bien garnie, aujourd'hui, au "Pays du Crépuscule," ils étaient pareils à des mendiants, c'est-à-dire pauvres par rapport aux biens fin-matériels de l'âme. Ces biens auraient dû être réalisés auparavant sur Terre, aussi bien par les rois les plus riches que par les mendiants les plus pauvres. Ceux qui n'en avaient pas tenu compte, qu'ils soient parmi les plus puissants ou parmi les plus humbles de la Terre, devaient, en parvenant dans le domaine des esprits, séjourner en ce lieu où tous étaient également pauvres en choses spirituelles. En raison de leur position occupée durant leur vie terrestre, beaucoup d'esprits se disputaient et se plaignaient d'avoir été maltraités en ayant été conduits en cet endroit. Ils en blâmaient les autres, comme si ceux-ci en étaient responsables et non eux-mêmes. Ils se trouvaient mille excuses et faux prétextes à présenter à celui qui tendait à écouter leurs plaintes. D'autres tentaient de mener à bonnes fins leurs projets terrestres ou bien cherchaient à faire croire qu'ils avaient trouvé le moyen de mettre un terme à la désolation de ce fastidieux pays, ceci aux frais de quelqu'un d'autre, naturellement. Ils imaginaient des plans qu'ils cherchaient à réaliser avec soin, en même temps qu'ils visaient à contrecarrer ceux des autres qui les gênaient. Ainsi s'écoulait l'existence au "Pays de l'Inquiétude". Aussitôt que j'eus redonné, à ceux qui avaient bien voulu m'entendre, courage, espoir et d'utiles conseils pour trouver la bonne voie et sortir de ce pays, je poursuivis mon chemin et arrivai au "Pays des Avares." Ce pays est complètement abandonné à lui-même car, à l'exception de ceux qui souffrent eux-mêmes de cette avidité engloutissante envers l'accumulation de richesses, très peu d'êtres humains ont de la sympathie pour les vrais avares. Ici, ces sombres esprits étaient bossus et avaient les doigts crochus. Semblables à des rapaces, ils s'occupaient à fouiller le sol noir pour y trouver des grains d'or, ce qui les récompensait de leurs peines. Dès qu'ils avaient trouvé une parcelle d'or, ils la glissaient dans une pochette qu'ils cachaient ensuite sur leur poitrine afin que ce qu'ils considéraient comme leur bien le plus précieux reposât plus près de leur cœur. Généralement ils restaient seuls, créatures sauvages qui s'écartaient instinctivement du chemin d'autrui dans la crainte de se voir dérober leur cher trésor. Je ne trouvai rien à faire dans ce pays. Seul un homme prêta l'oreille quelques instants à mes paroles, avant de s'adonner à nouveau à la recherche de l'or dans le sol. Quand je partis, il me suivit du regard avec méfiance car il craignait que je ne sois venu que pour estimer la quantité d'or qu'il avait ramassée. Continuant à descendre, je parvins à une sphère presque entièrement sombre. Elle donnait l'impression d'être située sous la Terre car le caractère de ses habitants était plus mauvais que celui des êtres humains de certaines régions de la Terre. On trouvait là beaucoup de ressemblances avec les conditions de vie du "Pays de l'Inquiétude", sauf que les esprits habitant en ces lieux avaient un aspect plus mauvais encore, et plus dépravé. On ne voyait ici aucune trace de végétation ou de culture sur le sol. Le ciel au-dessus de la tête était presque aussi noir que la nuit. La lumière ambiante permettait seulement aux habitants de se voir eux-mêmes et de discerner leur entourage immédiat. Pendant qu'au "Pays de l'Inquiétude" on ne trouvait que disputes, insatisfaction et jalousies, il y avait ici de violentes querelles et des combats sans merci. C'était le lieu de résidence des joueurs et des ivrognes, des parieurs, des tricheurs et escrocs du monde du commerce, des voleurs et canailles de toutes sortes. On y trouvait aussi bien le vulgaire voleur des tripots que son homologue ayant évolué dans les plus hautes sphères de la société. En cet endroit se trouvaient tous ceux qu'un criminel et licencieux penchant avait conduit de l'égoïsme à la dégénérescence de leurs sentiments. J'en vis également beaucoup qui auraient tout aussi bien pu se trouver dans un état plus élevé de vie fin-matérielle si leurs relations terrestres avec cette sorte de gens ne leur avaient été fatales et, qu'attirés par leurs liaisons d'affaires, ils n'avaient, après leur mort, sombré jusqu'à cette sinistre sphère. C'est à cette dernière catégorie d'esprits que j'étais envoyé. Il subsistait en effet un espoir de trouver chez eux un peu de sentiment pour le bien et le sublime. La voix de celui qui crierait dans leur désert devait pouvoir être saisie d'eux et parvenir à les diriger vers un pays meilleur. Les habitants et les demeures de ce sombre "Pays de la Misère" étaient éparpillés sur une vaste étendue. Tout cela avait un aspect terrible de malpropreté, de saleté et de déchéance. Certaines demeures ressemblaient aux bâtiments de quelques quartiers de voleurs de nos grandes villes, où d'anciens palais aménagés avec opulence et luxe sont devenus aujourd'hui des lieux d'asile du crime et des vices les plus vils. Je tombais ailleurs sur d'immenses étendues de terrains abandonnés avec quelques maisons éparses ou, pour mieux dire, de misérables huttes. Dans d'autres parties encore, il y avait ces complexes de maisons comme dans les grandes villes de la Terre et dans lesquelles les habitants sont entassés; elles avaient l'air maussades et sombres. On ne remarquait partout que saletés, ordures et misère, un vrai état de désolation provoqué par l'émanation fin-matérielle des habitants dépravés de cette région. Pas la moindre trace de pureté, de beauté ou de grâce où le regard aurait aimé s'attarder. Je me déplaçais parmi ces malheureux avec ma petite lumière étoilée. Elle était si minuscule qu'elle semblait être un tout petit point qui brillait et se déplaçait dans l'obscurité. Toutefois, autour de moi, elle dégageait une douce clarté et représentait une étoile d'espérance pour ceux qui pouvaient la percevoir, ceux qui n'étaient pas encore trop aveuglés par suite de leur égoïsme et de leurs passions. Ici et là, je trouvais de tels malheureux, appuyés à quelque mur ou blottis dans le coin d'une misérable chambre. Possédaient-ils suffisamment de force pour se lever et écouter mes paroles, ils commençaient alors à chercher la voie vers le bien et, sur cette voie, à tenter de rejoindre les sphères plus élevées d'où, par leurs péchés, ils étaient tombés. J'arrivais même à en inciter quelques-uns à m'assister dans mes efforts pour en aider d'autres. En général, toutefois, les plus pauvres ne pouvaient que penser à leur propre misère et à aspirer à quelque chose de plus élevé que leur état actuel. Si minime que cela puisse paraître à première vue, c'était cependant le premier pas en avant, qui serait sûrement suivi d'un second, à savoir la pensée de pouvoir aider les autres. Un jour, dans mes déplacements à travers ce pays, j'arrivai sur le territoire d'une grande ville située au milieu d'une plaine désolée. Le sol était noir et sec. C'était au mieux à comparer à un dépôt de cendres, de décombres et de poussier qu'on trouve auprès des grosses fonderies. Je me trouvais au milieu des décombres de quelques huttes écroulées, qui servaient de passage de la malheureuse ville vers cette triste plaine. C'est alors que me parvint d'une hutte le bruit d'une dispute. La curiosité m'incita à aller voir à l'intérieur ce qui s'y passait, si je n'allais pas trouver là motif à protéger quelqu'un. Le bâtiment dans lequel je pénétrai ressemblait plus à une écurie qu'à une maison. Dans cet espace se trouvait une table grossière et, autour d'elle, une douzaine d'hommes étaient assis sur de petites chaises en bois. Quels hommes! Ils étaient une insulte pour le genre humain et auraient plutôt dû être comparés à des orangs-outans. Les traits grossiers, bouffis et déformés de leurs visages leur donnaient une physionomie de porcs, de loups ou d'oiseaux de proie. Il m'est impossible de décrire ces visages, ces corps déformés et ces membres tordus. Dans leurs vêtements usés et leur habillement pareil à celui de leur vie terrestre, ils offraient un spectacle grotesque. Quelques-uns étaient dans le costume solennel des siècles passés et d'autres étaient vêtus à la toute dernière mode. Mais l'ensemble paraissait déguenillé, vulgaire et sale. Leurs cheveux étaient ébouriffés et retombaient en désordre autour de leurs têtes. Tantôt leurs yeux s'enflammaient d'une vive passion, tantôt ils restaient fixés devant eux, dans un sombre désespoir ou une méchante perfidie. Je croyais me trouver ainsi au plus profond des abîmes de l'Enfer. Toutefois, je suis allé depuis dans une région encore plus sombre et à l'aspect encore plus horrible que celle-ci. Elle était habitée par des êtres auprès desquels ceux-ci doivent êtres appelés d'innocents humains. Plus tard, quand je viendrai à parler de cette partie de mon voyage dans le domaine le plus bas de l'Enfer, je décrirai mieux ces créatures les plus viles. Dans ce bâtiment, les esprits que je voyais étaient entrés en querelle à propos d'un sac plein d'argent qui se trouvait sur la table. Il avait été trouvé par l'un d'eux, qui l'avait offert en guise d'enjeu afin que la compagnie puisse jouer. La querelle avait pris naissance parce que chacun voulait tout simplement s'emparer du sac pour lui seul, sans tenir compte du droit des autres. La question de droit était devenue question de force et l'on se menaçait déjà de vive manière. Celui qui avait trouvé l'argent, ou plutôt la contrepartie fin-matérielle de notre argent terrestre, était un jeune homme d'assez bonne mine. Si les traces des passions n'avaient pas si profondément buriné son visage, il aurait détonné en la compagnie de tous ces dépravés. Il prétendait que l'argent était sa propriété et que s'il l'avait donné pour être joué honnêtement, il ne souffrait pas qu'on le lui prenne de force. A mon sens, il n'y avait rien à faire pour moi ici. Après avoir quitté cet endroit, j'entendis derrière moi des vociférations et des cris d'horreur et de protestation. A peine m'étais-je quelque peu éloigné et étais-je arrivé juste auprès d'une autre maison abandonnée, que toute la bande de sauvages bataillant et luttant poursuivait le jeune homme à la bourse d'argent. Ils se repoussaient mutuellement tandis que le premier d'entre eux frappait et piétinait le pauvre homme en cherchant à lui arracher le sac. Sitôt qu'il y fut parvenu, il attira à lui tous les autres, si bien que le jeune homme put se relever et commencer à courir vers moi. A cet instant, un cri strident retentit. On s'apprêtait à rattraper le fuyard car le sac ne contenait plus que des pierres. Pareil à l'or des contes de fées, le contenu avait été changé non pas en feuilles fanées mais en cailloux. Le malheureux garçon s'était tout de suite cramponné à moi, me suppliant de le protéger de ces démons pendant que toute la bande, à la poursuite de sa victime, se précipitait vers nous. Agrippant le bonhomme, je bondis, rapide comme l'éclair, dans un bâtiment vide et tirai la porte derrière moi. Je m'y appuyai du dos pour la tenir fermée à nos poursuivants. Grand Dieu! Comme ils crièrent, trépignèrent et fulminèrent en essayant de forcer la porte et combien, pour ma part, je tendais, pour les en empêcher, toutes mes forces, tant celles de mon esprit que celles de mon corps! En ce temps là, je ne savais pas encore que d'invisibles forces m'assistaient pour tenir la porte, jusqu'à ce que les assaillants s'aperçoivent qu'ils ne parviendraient pas à la bouger. Désabusés et furieux, les perturbateurs se retirèrent finalement pour aller chercher ailleurs le sujet de nouvelles disputes. VII J'examinai alors mon compagnon. Il était misérablement ramassé et assis dans un coin de la pièce. Je tentai de le relever et lui expliquai qu'il serait bon de quitter cet endroit aussitôt qu'il pourrait bouger et marcher un peu. Il pourrait très bien se faire que les hommes reviennent pour nous causer des désagréments. Avec bien de la peine et des exhortations, je le relevai et l'emmenai en un lieu plus sûr de la sombre plaine où, il est vrai, nous étions sans toit, mais ne courions plus le danger d'être encerclés. Je fis alors de mon mieux pour alléger ses souffrances par des applications que j'avais apprises lors de mon séjour dans la "Maison de l'Espoir." Après quelques instants, il put parler et raconter comment il était arrivé dans ce sombre pays. Il semblait n'avoir pris congé de la vie que depuis peu, après avoir été abattu d'un coup de feu par un mari jaloux dont il avait obtenu de la femme des faveurs interdites. La seule excuse valable pour lui dans toute cette histoire était que ce malheureux esprit n'éprouvait aucun sentiment de haine ni de vengeance envers l'homme qui lui avait ravi la vie, mais uniquement du repentir et de la honte. Outre que ses yeux s'étaient ouverts sur sa propre dépravation, le mieux dans cette affaire avait été la découverte de l'indignité de la femme à cause de laquelle tout était survenu. Elle était dure, égoïste et parfaitement incapable d'éprouver le moindre sentiment d'amour. Tous ses sens et ses visées tendaient à se satisfaire et à jouer un rôle dans la société. Elle n'éprouvait qu'un sentiment d'ennui à l'égard de son malheureux mari, ainsi que pour la victime de sa jalousie. Le jeune homme, que j'appellerai Raoul, me raconta: "Quand je sus que j'étais vraiment mort et avais cependant le pouvoir de retourner sur Terre, ma première pensée fut d'aller chez elle et de la consoler autant que possible, et lui faire sentir que le mort bien-aimé vivait encore et pensait à elle après la mort. Mais dans quelle disposition la trouvai-je? Pas le moindre deuil pour moi ni le moindre souci pour lui ! Rien de tout cela ! Pensant uniquement à elle, elle ne désirait revoir aucun de nous. Elle aurait aimé nous rayer de sa mémoire afin de pouvoir recommencer une nouvelle vie avec un autre, à la position plus élevée en affaires. "C'est alors que les écailles tombèrent de mes yeux et que je réalisai que je n'avais jamais possédé son amour. Seules ma noblesse et ma fortune l'avaient intéressée. Par là, elle avait espéré atteindre une position plus influente dans la société ou bien éliminer une rivale. C'est par un froid calcul qu'elle avait commis l'adultère. Pour elle, je n'étais rien d'autre qu'un pauvre insensé qui devait payer sa folie de sa vie, rien qu'un désagréable souvenir du scandale qui l'atteignait. Dans mon amertume, j'ai fui alors la Terre. Je ne pouvais plus croire à une fidélité d'aucune sorte. Mes sauvages pensées me tirèrent vers ce lieu ténébreux et ses habitants. Parmi eux, j'ai retrouvé mes amis terrestres qui m'avaient flatté avec servilité et avec qui j'avais gaspillé mes forces et perdu mon âme. - Et maintenant, mon pauvre ami ? repris-je. Ne vas-tu pas prendre la voie de l'expiation qui te ramènera dans de meilleurs pays et sur laquelle tu retrouveras ton humanité et ton moi plus élevé ? - Malheureusement, pour ici il est trop tard, dit Raoul. En enfer, car ici c'est sûrement l'enfer, il n'y a plus d'espoir pour personne. - Plus d'espoir ? Pour personne ? répondis-je. Ne parle pas ainsi, mon ami. Moi je peux t'assurer que l'espérance existe encore, même pour l'esprit le plus désespéré. J'ai éprouvé moi aussi le chagrin et l'amertume. Je n'ai toutefois jamais perdu l'espoir, car celle que j'aimais était pure comme un ange. Elle était toujours prête à m'inspirer l'amour et l'espérance. C'est grâce à elle que j'ai travaillé et éveillé chez les autres l'espoir qu'elle me faisait partager. Viens, laisse-toi guider et je te conduirai dans un meilleur pays. - Et qui es-tu, ami, avec ces belles paroles et ces actes, encore plus beaux, appelés à me rendre la vie ? Il m'a été dit qu'il était impossible ici de mourir. Il arrivait que l'on puisse souffrir au point de croire en mourir mais on ne pouvait mettre un terme à ces tortures, car la mort n'atteint aucun de nous puisque nous nous trouvons au-delà d'elle. N'avons-nous pas devant nous toute une éternité de souffrances ? Dis-moi qui tu es. Comment es-tu venu ici et comment peux-tu, avec tant de confiance, m'adresser ces paroles d'espoir ? Tu me ressembles trop pour que je puisse croire que tu es un ange envoyé à mon aide." Je lui relatai alors l'histoire de ma vie, lui décrivant comment je m'étais amélioré et comment il lui était possible de faire de même. Je lui dis que j'espérais fermement pouvoir vivre un jour avec ma bien-aimée, dans un pays où nous ne nous séparerions jamais plus. "Et tu crois vraiment, me dit-il, qu'elle passera sur Terre toute sa vie solitaire pour un jour s'unir au Ciel avec toi après que tu y seras toi-même parvenu ? Aucune femme, même vieille et laide, ne comprendra cela et ne le fera pour toi. Peut-être attendra-t-elle un certain temps si aucun autre ne vient pour l'épouser. Mais, crois-moi, à moins d'être un ange, elle se consolera avec le temps. Si tes espérances ne sont pas mieux fondées, alors je ne peux que te plaindre." Je dois avouer que ces mots m'irritèrent. Ils étaient un écho du doute qui m'assaillait quelques fois et ils agirent comme une douche sur mon enthousiasme. Tant pour alléger mon propre doute que pour lui enlever le sien, je répondis avec quelque vivacité: "Si, tout de suite, je t'emmène avec moi sur la Terre et que nous y trouvons ma bien-aimée portant mon deuil et ne se préoccupant que de moi, croiras-tu alors que je ne m'illusionne pas ? Admettras-tu que dans ton expérience de la vie, tu peux encore apprendre, vis-à-vis des femmes comme en d'autres domaines ? - Mon cher, répondit Raoul, je te prie de m'excuser si mon doute t'a causé de la peine. J'admire ta ferme confiance et désire en posséder moi-même tout autant. Allons donc, sans plus attendre, lui rendre visite." Je le pris donc par la main. Au moyen de mon énergique vouloir de nous trouver rapidement chez mon amie, nous nous élevâmes pour traverser l'espace à une vitesse voisine de la pensée, pour nous trouver en quelques instants dans la chambre de ma bien-aimée. Elle-même et son esprit protecteur qui la veillait étaient bien visibles à mes yeux. Je parvenais indistinctement à discerner les contours de la pièce et ses aménagements, tandis que mon ami Raoul ne percevait rien d'autre que la silhouette de mon amie assise dans un fauteuil. Dans l'éclat de son corps fin-matériel rayonnant, entourée de la mate et douce lueur de son aura, elle ressemblait à une sainte. A vous, hommes de la Terre, cette lumière fin-matérielle n'est pas perceptible, tandis que pour nous, esprits, tous ceux dont la vie est pure et bonne apparaissent dans une telle lumière, alors que les méchants sont entourés d'un sombre nuage. "Mon Dieu !" s'écria Raoul. Et il tomba à genoux devant elle. "C'est un ange ! Tu m'as conduit à une sainte, pas à une femme. Elle ne peut pas être une femme de la Terre !" Je l'appelai par son nom et elle perçut le son de ma voix. La tristesse disparut de son visage qui rayonna alors de joie. Elle dit doucement: "Es-tu vraiment là, mon bien-aimé ? J'aspire tellement à ton retour ! Tout mon esprit et toutes mes pensées vont vers toi. Peux-tu me toucher ?" Elle tendit la main et en un instant la mienne s'y posa. Mais bien que bref, ce court contact la fit frissonner comme si elle avait été effleurée par un vent glacé. "Vois, ma chérie, j'ai amené un ami malheureux qui a besoin de ton intercession. Je voulais lui faire savoir que sur Terre l'amour de femmes fidèles existe et que, si nous voulons nous en rendre dignes, il peut devenir notre bénédiction." Elle n'avait pas bien compris ce que je disais, mais son esprit, lui, en avait saisi le sens. Avec un sourire, elle dit: "Oh! Oui. Je te suis toujours fidèle, mon aimé, ainsi que tu l'es envers moi, et un jour nous serons très heureux." Puis Raoul, resté agenouillé jusque là, leva la main pour tenter de toucher la sienne. Mais l'invisible rempart l'en empêcha lui aussi, ainsi qu'il en avait été pour moi jusqu'ici. Mon ami dut abandonner son projet et lui dit: "Si votre cœur est si plein d'amour et de compassion, alors dispensez-moi ce dont je suis privé, à moi qui suis vraiment malheureux et qui ai recours à votre intercession. Je sais que vos prières seront exaucées; les miennes ne sont pas entendues et se perdent. Priez afin que moi aussi je sois aidé. Je pourrai alors espérer qu'une vie meilleure est possible, même pour moi." Ma bien-aimée saisit les paroles du malheureux et, après s'être agenouillée auprès de son siège, dit une courte et simple prière demandant aide et consolation pour nous tous. Raoul en fut à ce point touché qu'il ne se permit plus d'émettre aucun doute. Je dus le prendre par la main et le ramener au pays des esprits, toutefois pas dans la sphère où tout espoir est exclu. A partir de là, Raoul et moi travaillâmes ensemble pendant une courte période, dans la sombre région où il avait résidé précédemment. De jour en jour il reprenait plus d'espoir. D'une nature éveillée et sereine, il était en tant que Français un véritable enfant de son pays, joyeux, d'une légèreté agréable que même son affreux séjour en ce sombre endroit n'avait pu réprimer complètement. Nous devînmes bons amis, et le travail que nous nous partagions fut ainsi plus agréable. Toutefois, cette activité en commun ne dura pas longtemps. Nous ne nous sommes plus souvent rencontrés depuis et nous avons collaboré comme des camarades de différents régiments que les hasards de la guerre réunissent un jour et séparent le suivant. VIII Un jour, tenu d'interrompre mes déplacements dans la sphère spirituelle pour remplir une autre mission sur la Terre, il arriva que j'eus à subir la plus grande et la plus affreuse tentation de ma vie. Au cours de mon œuvre de sauvetage, je rencontrai un homme de la Terre dont l'influence avait contribué, plus que toute autre, à détruire ma vie terrestre. Bien que non totalement innocent moi-même, j'étais toujours envahi d'une grande amertume et d'un vif sentiment de vengeance à l'évocation de cette personne et des troubles qu'elle m'avait causés. Ceux-ci me touchaient si intimement que je craignais parfois de devoir exploser d'une colère passionnelle. Mes voyages sur le plan terrestre m'avaient appris beaucoup de moyens grâce auxquels un esprit peut causer du tort à ceux qu'il hait, même si ceux-ci sont encore vivants. Nous possédons beaucoup plus de puissance que vous ne l'imaginez. Mais j'estime plus sage de ne pas lever le voile sur toutes les possibilités qui s'offrent aux personnes vengeresses pour satisfaire, même après leur mort, leurs visées obscures. Je pourrais énumérer des faits qui se sont effectivement produits ainsi: assassinats mystérieux, crimes remarquables exécutés apparemment sans raison ni fondement et qui ont été commis sur la Terre par des êtres humains dont la conscience était tellement engourdie qu'ils ne pouvaient être tenus responsables de leurs agissements. Ils n'étaient que des instruments entre les mains d'esprits qui avaient pris possession de leurs corps. Ici, dans la sphère spirituelle, nous avons connaissance de pareils événements. Souvent ces choses ont ici un aspect très différent de celui qui vous est offert sur la Terre. La vieille croyance en la possession, d'après cela, est donc bien fondée, si ce n'est que les démons et les diables ne sont eux-mêmes que les esprits d'anciens habitants de la Terre.(*) (*) Le mot "démon", stricto sensu, désigne, en fait, les formes nées du (mauvais) vouloir spirituel de l'être humain. Quant au mot "diable", il se rapporte, en fait, aux anges déchus, tombés avec Lucifer, ou, par extension, aux esprits déchus les ayant suivis. Après de longues années de séparation, je rencontrai donc cette personne tant haïe. Tous mes anciens sentiments de souffrance et d'humiliation se réveillèrent en moi avec vivacité. Ils décuplèrent ma vieille colère de la vie terrestre, car un esprit a tellement mieux la faculté de se priver ou de jouir, de se réjouir ou de souffrir, d'aimer ou de haïr, que vous sur la Terre, dont les sens sont alourdis et engourdis par l'enveloppe terrestre. Chez nous, esprits, la faculté de ressenti de tout notre être est mainte fois plus élevée. A sa vue, mon sentiment de vengeance longtemps réprimé s'éveilla à nouveau, en même temps qu'en moi naissait un plan diabolique pour le réaliser. Des recoins des abîmes les plus profonds, mon envie attira vers moi de telles noirceurs, des espèces si affreuses, que je n'en avais auparavant jamais vues de semblables, même en cauchemar: êtres dont l'existence aurait été démentie sans plus et reléguée dans le domaine des légendes. Ces créatures ne peuvent reléguer leur existence ni sur Terre ni dans les sphères plus basses entourant celle-ci. Il est donc indispensable que, par sa mauvaise orientation spirituelle, un homme émette une forte attraction magnétique et se trouve en affinité avec elles, grâce à quoi elles sont maintenues quelque temps sur Terre. Si elles sont souvent attirées ainsi par un puissant désir auprès d'un mortel ou d'un esprit lié à la Terre, elles ne peuvent toutefois pas séjourner longtemps dans la sphère terrestre. Comme suspendues à un fil qui subitement se déchire, c'est-à-dire dès l'instant où faiblit la force attractive, elles perdent leur maintien et sombrent à nouveau dans leur ténébreuse demeure. Au cours des grands mécontentements populaires et des soulèvements, de même qu'en cas de révolution où les passions d'un peuple opprimé prennent le dessus, la haine et la soif de vengeance attirent tout un nuage d'êtres ténébreux de ce genre. D'épouvantables situations peuvent ainsi se produire, comme on peut le remarquer pendant les grandes révolutions, lorsque la masse furieuse de ces esprits règne en maître pendant un temps. Dans mon cas, ces êtres affreux affluèrent vers moi la mine affable. Ils me murmurèrent à l'oreille comment satisfaire ma vengeance d'une manière si simple et si efficace, si épouvantable dans ses extravagances, que je n'ose la décrire; ceci à la pensée que ces idées pourraient germer dans la tête d'un désespéré quelconque, telle une graine tombant sur un terrain fertile et s'y développant. En d'autres temps, je me serais détourné avec répugnance de ces êtres et de leurs affreuses tentatives, mais ce jour-là, dans ma folle passion, ils étaient les bienvenus. J'allais justement les appeler à mon aide pour la réalisation de ma vengeance quand, pareille au son d'une clochette d'argent, retentit à mes oreilles la voix de ma bien-aimée, cette voix aux avertissements de laquelle je n'étais jamais resté sourd et dont le son me touchait mieux que tout. Au nom de ce qui nous était le plus sacré, au nom des serments que nous avions échangés, mon amour m'adjurait de venir à elle. Certes, je ne pouvais de suite renoncer à l'idée de ma vengeance; cependant, telle une flèche, je m'éloignai de celui que je haïssais et fus attiré vers celle que j'aimais. Toute la bande sauvage des êtres noirs s'accrocha à moi pour tenter de me retenir. Cependant, leur force faiblit peu à peu, à mesure que me pénétrait davantage la voix de l'amour, de la pureté et de la vérité. Je trouvai ma bien-aimée dans sa chambre, les bras tendus et m'attirant à elle. A ses côtés, je remarquai deux puissants esprits protecteurs rayonnants. Autour d'elle un cercle flamboyant de lumière argentée s'élevait, si bien qu'elle paraissait être entourée d'un fulgurant rempart. Sur son injonction, je franchis le rempart et me trouvai à ses côtés. La troupe noire essaya de me suivre mais en fut empêchée par le cercle flamboyant. Seul un poursuivant se pressa contre moi lorsque j'atteignis le rempart. Il voulut m'agripper mais son bras et sa main furent atteints par les flammes et se rétractèrent comme plongés dans une fournaise. Poussant un grand cri de douleur, la noire créature se retira parmi les sauvages hurlements et les ricanements de la suite furieuse. De toute la force de son amour, ma bien-aimée m'exhorta à abandonner mon horrible plan et à ne plus jamais donner prise à de telles pensées. Elle me demanda si je tenais plus à la satisfaction de ma vengeance qu'à elle-même et si je voulais, par la responsabilité d'un crime délibéré, élever entre nous une barrière infranchissable. Après tout ce qui s'était passé, son amour avait quand même mérité plus d'égards. Au début je ne voulus pas céder mais, pour finir, elle se mit à pleurer. Ses larmes amères, brûlant en moi comme un feu, liquéfièrent la froideur de glace de mes sens et réchauffèrent mon âme. En angoisse mortelle à l'idée que j'étais la cause de ses larmes, je tombai à ses pieds et la suppliai de bien vouloir pardonner mes sentiments impies, qu'elle continuât par son amour à être ma consolation et mon assistance, et qu'auprès d'elle, ma seule espérance et mon tout, il me soit permis de continuer à séjourner. Pendant ma prière, la troupe des noirs esprits qui, avec ruse et perfidie, avait tenté de m'attirer à elle, se dilua comme un sombre nuage balayé par le vent. Ils rejoignirent leur propre domaine pendant qu'effondré, je m'affalai aux pieds de ma bien-aimée. Je vis par la suite ces noires créatures chercher fréquemment à s'approcher de moi. Cependant, ils ne purent jamais venir aussi près, car j'étais maintenant protégé de leurs attaques par mon amour. IX Je reçus ensuite la mission de visiter un pays dont l'existence, dans le monde des esprits, peut paraître étrange. C'était le pays des glaces et de la neige, "Le Pays du Froid", dans lequel vivaient tous ceux qui, sur Terre, avaient été froidement, égoïstement calculateurs. En eux et vis à vis des autres, ils avaient laissé dépérir, s'engourdir et se refroidir tous ces chauds élans et ces délicats sentiments qui conviennent à la vie du cœur et de l'âme. En eux, le sentiment d'amour était à ce point éteint qu'en leur présence la chaleur du soleil, dispensatrice de vie ne pouvait opérer et que toute vie paraissait étouffée. Parmi les habitants de ce pays, je vis de grands hommes d'état qui n'avaient pas aimé leur peuple et ne s'étaient pas préoccupés de leur bien-être. Ils n'avaient recherché que la satisfaction de leurs ambitions et leur propre gloire. Ils habitaient aujourd'hui dans de grands palais de glace, sur les froides et fières hauteurs de leurs entreprises. J'en remarquai d'autres qui avaient évolué sur des sentiers moins élevés de la vie. Mais eux aussi étaient engourdis et refroidis de la même manière, dans l'affreuse rigueur et la stérilité d'une vie dont toute chaleur et tout sentiment étaient exclus. Si j'avais fait connaissance auparavant avec les sévices résultant de l'excès d'agitation et de sentiments, je remarquais maintenant les suites fâcheuses d'une absence totale de ces facultés. Dieu merci, ce pays avait moins d'habitants que l'autre. Car, si affreuses que peuvent être les conséquences d'une fâcheuse passion, elles ne sont toutefois pas aussi difficiles à surmonter que celles qui, par suite de ces fautes, ont suspendu tout délicat élan du cœur de l'être humain. Ici se trouvaient aussi des êtres humains isolés qui avaient été sur Terre d'éminents représentants de professions de foi religieuses dans différentes nations. Cardinaux ou prêtres catholiques romains de sévères disciplines de vie, dévotes mais froides et égoïstes; prédicateurs puritains, ecclésiastiques presbytériens, évêques et clercs de l'église anglicane, missionnaires, brahmanes, parsis, coptes, musulmans, bref, toutes les branches des religions se trouvaient représentées au "Pays du Froid". Ses habitants n'avaient pas assez de chaleur pour faire fondre autour d'eux un peu de glace. Cependant, dès qu'une petite goutte plus chaude, une larme d'affliction coulait, la glace commençait à dégeler et la pauvre âme pouvait alors espérer pouvoir sortir un jour du "Pays du Froid". Je rencontrai un homme paraissant enfermé dans une cage de glace. Les barreaux étaient de glace eux aussi et d'une telle dureté qu'ils ressemblaient à de l'acier poli. Cet homme avait autrefois eu la charge de Grand Inquisiteur délégué auprès du tribunal en hérésie de Venise. C'était l'un de ceux dont le nom seul suffisait à inspirer l'épouvante à ceux qui tombaient entre ses mains. Une célèbre personnalité historique! Dans la description de sa vie, on ne trouve pas la moindre trace qu'une ombre de pitié pour ses victimes ait jamais effleuré le cœur de cet homme, tant dans l'exercice de ses fonctions que dans sa vie privée. Rien ne pouvait affaiblir sa détermination à torturer et à tuer ceux des malheureux qui tombaient au pouvoir de l'Inquisition. Il était connu pour sa vie austère et sévère et il n'avait aucune indulgence ni pour lui ni pour les autres. Froid et sans pitié, toute compassion pour les souffrances d'autrui lui était étrangère. Son visage avait l'aspect caractéristique d'une impassible et froide cruauté: long nez étroit et haut, menton proéminent et pointu, hautes et larges mâchoires, lèvres minces et étroites traversant son visage en ligne droite, crâne presque ras au-dessus des oreilles et yeux profondément enfoncés, perçants et luisants sous les sourcils saillants, avec le froid éclat d'acier d'un oiseau de proie. Derrière lui, je voyais, l'accompagnant, les fantômes des nombreuses victimes de cet homme. Estropiés, lacérés et sanglants, à la suite des souffrances de martyre, spectres blêmes, figures astrales errantes dont les âmes s'étaient séparées pour toujours. Mais ombres qui s'accrochaient encore à cet homme et qui ne pouvaient se libérer dans leur élément aussi longtemps que son magnétisme les attirait à lui et se les attachait comme une chaîne. Les âmes et leurs éléments plus élevés avaient quitté pour toujours ces figures, véritables coques astrales. Elles possédaient un certain degré de vitalité qui ne provenait pas des esprits libérés qui les avaient habitées autrefois, mais qui était soustraite à cet homme. Il s'agissait de spectres, ainsi qu'on peut en voir hanter certains endroits où fut assassinée une personne trop bonne et innocente pour rester attachée à la Terre. Leurs assassins, ainsi que d'autres, les tiennent pour vivants et s'imaginent être visités par eux. Pourtant la vie de telles ombres n'est qu'un reflet. Elles meurent et disparaissent dès que suffisamment de repentir et d'expiation se sont manifestés pour que soit rompu le lien qui les reliait à leur assassin. Je remarquais également d'autres esprits fourmiller autour de l'homme abandonné et le tourmenter à cause de leurs anciennes souffrances. Ceux-ci étaient cependant d'une toute autre espèce. Leurs manifestations étaient plus matérielles. Ils possédaient une force, une vigueur et une conscience qui n'existaient pas chez ces autres ombres nébuleuses. C'étaient des esprits dont l'enveloppe astrale maintenait encore captif l'âme éternelle, car ils avaient tellement été martyrisés que seul continuait à vivre en eux le désir acharné de vengeance. Inlassablement, ces esprits s'efforçaient d'approcher leur ancien oppresseur, si bien que la cage dans laquelle il se trouvait ne lui servait pas seulement de prison mais aussi de rempart contre ses ennemis. Plus habile que les autres, l'un d'eux s'était fabriqué une longue perche effilée qu'il introduisait entre les barreaux de la cage pour transpercer l'homme à l'intérieur. Ce dernier déployait une étonnante activité pour éviter la pointe acérée. D'autres avaient de courts javelots qu'ils lançaient vers lui à travers les barreaux. D'autres enfin l'aspergeaient d'eau sale et boueuse, et la cohorte des assaillants se réunissait parfois pour attaquer ensemble et tenter de rompre les barreaux protecteurs. Mais ils n'y parvenaient pas! Connaissant par une longue expérience l'invulnérabilité de sa cage, le prisonnier se moquait froidement d'eux et de leurs vains efforts, dans un calme souverain. A ma question spirituelle de savoir si cet homme pourrait jamais redevenir libre un jour, une réponse me fut donnée par ce sublime esprit dont la voix ne m'avait que rarement parlé depuis la première fois où je l'avais entendue auprès de ma tombe. Il m'appelait de loin ainsi qu'en ces occasions où j'avais invoqué son aide et ses conseils. Sa voix résonnait peut-être, avec la même sonorité qu'au temps où les prophètes de l'Ancien Testament croyaient entendre, dans le tonnerre, la Voix du Seigneur. En un ton plein et profond, cette voix parvint à mes oreilles. Toutefois, le prisonnier et ceux qui fourmillaient autour de lui n'étaient pas en état de la saisir. Leurs oreilles étaient trop sourdes pour l'entendre, et leurs yeux trop aveugles pour le voir. La voix me dit : "Mon fils ! Ne perds pas de vue un seul instant les pensées de cet homme et vois quel usage il ferait de sa liberté si elle lui était rendue !" Je découvris alors les dispositions d'esprit de cet homme: ses pensées m'apparurent comme dans un miroir. Il lui venait tout d'abord à l'idée qu'il pourrait être libre et obtenir de force son retour sur Terre. Arrivé là, il espérait trouver des vivants dans les mêmes dispositions d'esprit que lui, avec l'aide desquels il lui serait possible d'imposer à l'humanité un joug encore plus lourd, un règne d'épouvante encore plus cruel, une inquisition encore plus implacable qui devraient ravir à ses victimes oppressées le dernier reste de liberté! Il savait pouvoir déployer désormais une bien plus grande puissance qu'autrefois sur Terre, grâce à son esprit libéré de toute entrave terrestre. Son intention était de rassembler sous son contrôle des collaborateurs apparentés en esprit, dont les âmes étaient aussi froides et aussi cruelles que la sienne. Il paraissait profondément plongé dans cette entreprise. La pensée qu'il était toujours demeuré insensible aux lamentations, gémissements et prières de la victime qu'il faisait torturer le remplissait de satisfaction. Il avait donné libre cours à son besoin de domination et le développement de son ordre ne devait servir que de prétexte à ses cruels agissements. Jamais une étincelle de pitié ou de repentir n'avait jailli de son âme endurcie. Libérer un tel homme et le laisser retourner sur Terre serait une source de bien plus grands dangers que de libérer la bête de proie la plus sauvage, car il serait beaucoup moins limité dans l'emploi de ses forces. Il ignorait que son Inquisition tant prisée, dont il envisageait d'augmenter la puissante domination génératrice de mort, avait été balayée du sol de la Terre par une puissance plus forte que la sienne, par la Puissance de Dieu! Avec l'affreux siècle durant lequel elle s'était développée ainsi qu'une plante vénéneuse, elle avait disparu pour ne plus jamais revenir et ne plus déshonorer l'humanité par des crimes perpétrés au nom de Celui qui vint sur Terre prêcher l'Amour et la Paix. Mais les blessures faites par l'Inquisition ne sont pas encore complètement cicatrisées. Ses suites pèsent encore sur certaines âmes qui ont perdu la faculté de croire en Dieu et en l'immortalité. Et beaucoup d'années passeront encore avant que la Bonté, la Pureté et la Vérité ne reviennent au pouvoir pour ramener les êtres humains à la croyance en un Dieu d'Amour. Je pris congé du "Pays du Froid", troublé et refroidi. Je n'éprouvais aucune envie d'y rechercher d'autres secrets, bien qu'il ne fût pas exclu que j'y revienne un jour. Il n'y avait pour moi rien à faire dans ce pays où je ne comprenais personne. Ses habitants ne faisaient que m'effrayer et m'inquiéter, et mon action ne leur aurait été d'aucune utilité. Sur mon retour du "Pays du Froid" vers le "Pays du Crépuscule", mon regard se posa sur de nombreuses cavités appelées "Cavernes du Sommeil". Dans celles-ci reposait une foule d'esprits complètement engourdis et parfaitement inconscients de ce qui se passait autour d'eux. J'appris que ceux-ci avaient écourté leur vie terrestre par la jouissance en fumant de l'opium et qu'ils s'étaient ainsi privés de toute possibilité de développement. Au lieu d'avoir poursuivi ce dernier plus avant, on pouvait chez eux observer le contraire. Ainsi que dépérit un membre non exercé, ils étaient devenus mentalement aliénés, incapables de se tirer d'affaire comme un enfant avant sa naissance, et, comme lui, inaptes à une vie autonome et consciente. Dans bien des cas le sommeil de ces esprits dure des siècles. Dans d'autres cas, où la demande de poison n'était satisfaite que dans des proportions minimes, cela peut durer quinze, vingt ou cent ans. Ces esprits subsistent, c'est tout! Leurs sens n'étaient pas plus développés que ceux d'une éponge qui végète sans une étincelle d'intelligence. Cependant, le germe de l'âme immortelle repose encore en eux et, pareil au grain de blé enfermé dans un sarcophage égyptien, conserve sa faculté de vivre et de lever, aussitôt que sont réalisées les conditions favorables à sa germination. Les cavernes dans lesquelles des mains secourables avaient couché ces malheureux étaient pleines de magnétisme dispensateur de vie. De nombreux esprits ayant eux-mêmes connu au cours de leur vie terrestre un pareil état causé par le poison de l'opium, s'employaient à transmettre de la force vitale à ces corps fin-matériels engourdis qui gisaient en rang sur le sol, semblables à des cadavres. Selon le poison pris sur Terre et l'ampleur du mal dont était atteint leur esprit, les malheureux s'éveillaient très progressivement à la conscience, ainsi qu'à toutes les souffrances endurées par le toxicomane lorsqu'il est privé de son poison mortel. L'un après l'autre, et entre de longues pauses, les sens s'éveillent chez ces pauvres créatures, jusqu'à ce qu'elles soient en état de pouvoir assimiler les enseignements donnés aux enfants faibles et malades. On les porte alors dans des établissements analogues à ceux existant sur Terre pour les faibles d'esprit. Là, on éduque leur conscience et on l'astreint à se développer jusqu'à ce qu'ils reviennent au degré initial de leur vie terrestre. Ces pauvres âmes ne progressent que très lentement. Il leur faut à présent répéter, sans le soutien de la vie terrestre, les leçons que celle-ci aurait dû leur apporter. Comme les ivrognes, mais à un degré beaucoup plus élevé, ils avaient, au lieu d'apprendre, affaibli leur cerveau et leurs organes des sens. Ils avaient quitté le chemin du devoir tracé à chaque humain dans sa vie terrestre pour le développement de son esprit. La visite des "Cavernes du Sommeil" me troubla de façon inexprimable. La pensée que ces malheureux dormeurs n'avaient nullement conscience de la valeur du temps qu'ils perdaient ainsi dans un sommeil de mort, sans rêve ni espoir, y était pour beaucoup. Il en allait pour ces pauvres âmes comme pour le lièvre de la fable. Pendant qu'ils dormaient, ils étaient dépassés par de moins capables qu'eux et il leur faudrait longtemps s'efforcer vainement de rattraper le temps perdu. Quand ces esprits se réveillent enfin, quel destin ont-ils? Quel long parcours leur faut-il refaire pour parvenir à nouveau à cette hauteur d'où ils sont tombés durant leur vie terrestre? L'effroi ne doit-il pas saisir nos âmes à la pensée qu'existent sur Terre des êtres humains qui vivent de la vente de l'opium et qui gagnent de la sorte des fortunes, d'un commerce semblant détruire l'âme plus encore que le corps et à un degré si élevé qu'on doit désespérément se demander si, pour ces victimes, il existe encore de l'espoir? Ces épouvantables cavernes! Ces effroyables esprits inconscients ayant ingurgité du poison! Les mots peuvent-ils dépeindre un destin plus cruel que le leur? Un réveil, finalement, avec les capacités d'un idiot! Un siècle de graduelle croissance pour être à nouveau en possession de la force spirituelle d'un enfant! Et cela nécessite le temps de nombreuses générations pour apprendre ce qui aurait pu être enseigné en l'espace de temps d'une vie terrestre! J'ai entendu dire qu'aussitôt atteint le degré de développement d'un enfant, beaucoup de ces pauvres êtres étaient renvoyés sur Terre afin de pouvoir jouir à nouveau des avantages dont ils avaient fait jadis un si mauvais usage. Je n'en ai toutefois connaissance que par ouï-dire et ne peux l'affirmer comme une vérité. Je me réjouirais s'il existait pour ces malheureux une possibilité de raccourcir la durée de leur développement et de pouvoir regagner ce qu'ils ont autrefois perdu sur Terre. X Ayant rejoint le "Pays du Crépuscule", je résidai quelque temps à mon foyer. Je m'efforçais maintenant d'apprendre en toute hâte à mieux me comprendre moi-même, ainsi que les forces qui étaient en moi, et à utiliser les expériences de mes déplacements. L'enseignant qui m'instruisait me ressemblait à beaucoup d'égards. Il avait mené sur Terre une vie semblable à la mienne et était remonté des sphères inférieures ainsi que je le faisais actuellement. Son lieu d'origine était situé dans un superbe pays baigné de soleil. Il venait de là pour instruire les membres de notre confrérie, qui étaient ses élèves comme moi, et les aider à progresser davantage. J'avais, de plus, un autre enseignant ou guide. Je ne le voyais que rarement mais il exerçait sur moi une très grosse influence et se manifestait par de nombreuses et remarquables choses. Comme il appartenait à une sphère beaucoup plus haute que l'autre, je n'étais que rarement en état de le percevoir. Je recevais la plupart du temps ses communications par voie de transmission de pensées ou bien sous forme d'inspirations dans lesquels mes questions spirituelles étaient satisfaites de la même manière. Mais lorsque j'étais au "Pays du Crépuscule", je n'avais qu'une vague représentation de cet esprit. J'exclus pour le moment de le décrire davantage. Après m'être élevé dans une sphère plus haute, il sera plus distinctement visible à mes yeux. Bien que sa vue me soit autrefois presque complètement dérobée, j'étais pleinement conscient de sa présence et de son aide. Quand j'appris plus tard qu'il avait été mon esprit protecteur durant ma vie terrestre, je pus attribuer à son influence beaucoup de faits ainsi que mon aspiration à m'élever. C'était aussi sa voix qui m'avait souvent parlé pour me mettre en garde ou m'encourager, lorsque je m'étais effondré à mon entrée dans le monde des esprits, dans mon affreux état de jadis. Au temps des ténèbres, je le remarquais à peine entrer et sortir de ma petite cellule, adoucissant mes épouvantables douleurs par son magnétisme et son étonnante vertu curative. Quand, après mes visites dans les sphères sombres, je revenais au "Pays du Crépuscule", j'avais le sentiment de rentrer au foyer. Car si dégarnie et si pauvre que fût ma chambre, elle contenait cependant tous mes trésors: le portrait-miroir dans lequel je pouvais voir ma bien-aimée, la rose et la lettre qu'elle m'avait envoyées autrefois. Et puis, j'avais au même endroit des amis, mes compagnons de douleur. Et en ces moments où nous étions seuls, en général méditant sur nos fautes anciennes et leurs conséquences, c'était toujours un grand plaisir pour nous de recevoir la visite d'un ami. Parce que nous tous qui avions accumulé le déshonneur par notre conduite dans la vie terrestre et cherchions aujourd'hui la voie droite, nous nous trouvions dans le même cas. Il y avait là le fondement d'une sympathie réciproque. Si je pouvais vous décrire précisément notre vie; elle vous semblerait très bizarre. Elle était à la fois semblable et différente de la vie terrestre. Par exemple, chaque fois que nous avions faim, nous prenions un simple repas, préparé pour nous, j'aimerais dire de façon magique. Mais souvent, toute une semaine, nous ne pensions à aucune nourriture. Il arrivait même que l'un ou l'autre d'entre nous qui avait été sur Terre l'ami d'une bonne table nous en dissuadât. En ce cas le désir de satisfaire la faim apparaissait le plus souvent importun. Quant à moi, mes envies en cette matière avaient toujours été mesurées: ni la nourriture ni la boisson n'avaient jamais exercé sur moi une attraction particulière. Nous étions toujours entourés d'un demi-jour. Jamais une nuit noire n'alternait avec un jour clair. Cette uniformité était très spéciale et très fatigante pour moi qui recevait comme un bien dispensateur de vie la lumière et le soleil, car j'étais originaire d'un pays ensoleillé et plein de magnificence florale. De même que vous, nous quittions fréquemment la Maison pour nous déplacer dans les environs. Si nous le voulions, nous pouvions même un peu voler, mais pas aussi bien que les esprits plus avancés. Avions-nous l'intention d'atteindre quelque endroit? Alors notre volonté paraissait nous y porter avec une rapidité presque aussi grande que la pensée. Quant au sommeil, nous pouvions rester une longue période sans en ressentir le besoin. Mais nous nous étendions alors et dormions toute une semaine sans interruption, à demi conscient de ce qui se passait autour de nous, puis en totale inconscience à nouveau. Une chose remarquable était notre vêtement, qui ne paraissait pas s'user du tout mais qui se renouvelait de lui-même de secrète façon. Pendant tous mes déplacements et tout mon séjour dans cette Maison, il fut de couleur bleue très foncée avec une ceinture jaune autour des hanches et une ancre jaune brodée sur la manche gauche sous laquelle était écrit: "L'espoir dure éternellement". Le sous-vêtement étroitement collant était de la même couleur sombre. Le survêtement était long, ainsi qu'on peut le voir chez les confréries de pénitents ou chez les moines de la Terre. En arrière des épaules retombait une capuche que nous pouvions utiliser pour nous protéger le visage du regard des autres. Il nous arrivait souvent de désirer le faire, car les souffrances et les morsures de la conscience avaient fréquemment provoqué en nous une telle transformation que nous étions heureux de pouvoir nous voiler le visage devant ceux que nous aimions. Les arcades sourcilières et les joues flasques, les formes du corps recroquevillées et ravagées, les profondes rides de souffrance qui burinaient chaque visage ne parlaient que trop clairement. Il est facilement compréhensible que nous cherchions souvent à cacher nos corps et nos visages déformés devant nos amis de la Terre et du pays des esprits qui s'affligeaient encore de notre perte. Notre vie avait en elle-même quelque chose de monotone, par la régularité d'un mécanisme d'horlogerie avec laquelle l'étude et l'enseignement nous étaient donnés. Le progrès d'un esprit quelconque n'était pas évalué par le temps, par jour et par semaine, mais selon un certain degré de développement, qu'il atteignait à plus ou moins long terme suivant ses dons spirituels. Avait-il rempli un devoir? Il était alors devenu mûr, dans la direction particulière de son étude, pour une classe plus élevée. Pour un grand nombre, beaucoup de temps s'écoule avant qu'ils ne comprennent la signification du devoir qui leur est assigné. L'esprit en ce cas n'est pressé d'agir en aucune manière, comme il en est sur Terre avec les méthodes employées et où le temps pour apprendre paraît toujours trop court. En tant qu'esprit, l'être humain a toute l'éternité devant lui.(*) Il peut s'arrêter ou poursuivre comme bon lui semble. Il peut faire halte où il se trouve, s'arrêter aussi longtemps qu'il le veut et réfléchir jusqu'à ce que lui apparaisse clairement ce qu'il doit faire. C'est à ce moment seulement qu'il devient mûr pour la marche suivante. Personne n'est là pour le pousser plus qu'il ne le veut lui-même. Personne non plus ne s'oppose à lui lorsqu'il désire continuer à vivre dans un état stationnaire, et cela aussi longtemps qu'il respecte la liberté d'autrui et se maintient à l'unisson de la simple loi qui régit cette grande Confrérie: la loi de la liberté et de l'amour pour tous. (*) C'est, du moins en ce qui concerne les esprits de l'Au-delà fin-matériel, l'apparence subjectivement vécue par celui qui se trouve encore trop bas pour avoir, en cela, la vue haute. La phrase demeure, néanmoins, juste en elle-même, en ce qui concerne les véritablement et uniquement esprits séjournant dans le Paradis. Ceux-là ont réellement, alors, l'éternité devant eux. Aucun de nous n'était poussé à apprendre, aucun n'en était empêché. Tout avait lieu selon le bon vouloir et si, ainsi que cela se produisait souvent, quelqu'un désirait quitter cet endroit, il pouvait aller où il voulait et revenir quand bon lui semblait. Les portes n'étaient fermées pour personne, pas plus aux partants qu'aux arrivants. Et aucun ne blâmait les autres à cause de leurs fautes ou de leurs insuffisances, car chacun sentait sa grande responsabilité personnelle. Ainsi que je l'ai appris, certains sont restés ici des années car la tâche qui leur était assignée leur paraissait trop difficile. Ils ne pouvaient la surmonter que lentement. D'autres étaient retournés vers la façon de vivre du plan terrestre pour finalement sombrer dans les sphères fin-matérielles les plus basses et devoir ensuite re-subir une cure de purification dans la "Maison de l'Espoir", où j'avais été moi-même. Ces esprits étaient revenus, il est vrai. Et ce n'était pas réellement pour eux une régression mais bien une expérience nécessaire pour être guéris, de cette manière, du désir de goûter encore une fois aux plaisirs de la vie terrestre. Il y en avait peu qui, comme moi, ressentant en eux une puissante poussée intérieure vers l'avant, faisaient de rapides progrès et s'élevaient plus vite de degré en degré. Malheureusement, il y en avait encore trop qui avaient besoin d'aides compréhensives pour les soutenir dans leurs épreuves et se sentir ainsi consolés. J'étais moi-même béni par un torrent d'amour et de sympathie qui, de la Terre, affluait continuellement de mon amie et m'exhortait à de nouveaux efforts par la promesse du bonheur à venir et de la paix définitive. C'était pour moi une belle destinée que de pouvoir communiquer à de moins favorisés le riche trésor de ma propre joie d'espérer. Depuis qu'il m'était possible de rester plus longtemps sur Terre auprès de ma bien-aimée, qui était pleinement consciente de ma présence, c'était pour moi la source d'une joie nouvelle. Au cours de mes déplacements, j'avais encore assez de temps pour aller sur Terre et la regarder. Bien que pour elle je fusse complètement invisible, elle était maintenant en état de remarquer ma présence et de ressentir la pression de ma main. Nous nous asseyions alors côte à côte comme aux jours terrestres d'autrefois. Elle me parlait et pouvait assez bien comprendre ma réponse. Elle parvenait même parfois, bien qu'indistinctement, à discerner ma forme. Qu'était-ce donc que cette chose étrange? Cette gravité solennelle et cet agrément intime qui régnaient entre la "vivante" et le "mort"? Quand j'arrivais chez elle le cœur lourd et rempli d'un amer repentir pour mon passé, c'était avec la certitude qu'elle m'aimait malgré tout, qu'elle calmerait mon âme et me donnerait le courage de lutter. Du désespoir de notre vie, dans cette étrange réunion, grandit en nous mieux qu'aucun mot ne pourrait l'exprimer, la Foi et la Confiance dans l'avenir. J'observais combien elle développait ses facultés, les dons véritablement merveilleux qu'elle possédait et qu'elle avait si longtemps laissés inutilisés, tandis que, pour sa part, elle se réjouissait hautement de constater combien le voile qui me séparait d'elle se levait toujours davantage. Dans le monde des esprits existent beaucoup d'âmes solitaires qui reviennent sur Terre et qui aimeraient annoncer à ceux qu'elles ont laissés derrière elles qu'elles vivent encore et continuent de penser à eux. Qu'elles prennent encore part à leurs luttes et qu'elles sont capables de les conseiller et de les aider - et peut-être mieux encore qu'autrefois, à présent qu'elles ne sont plus entravées par la barrière de la chair. J'ai vu, en outre, beaucoup d'esprits qui restent accrochés au plan terrestre, bien que pouvant se tenir dans une sphère plus pure. Ils renoncent à monter plus haut à cause de ceux qu'ils ont aimés et qu'ils ont laissés dans les tentations de la Terre et dans le deuil le plus profond de leur mort, toujours dans l'attente d'une occasion qui leur donnerait la possibilité de confirmer à leur aimés encore vivants leur existence et leur fidèle affection. Certes, quand de tels esprits parvenaient à entrer en relation avec leurs proches, il n'y avait alors plus, ainsi que je l'ai souvent remarqué, aucun deuil, ou pas plus désespéré que celui qui existe sur Terre lorsque l'un doit s'expatrier et laisser l'autre derrière lui. Si le temps lui aussi, tel un ange affectueux, adoucit le chagrin de la plupart des vivants, ne serait-ce pas un état plus heureux encore pour les deux parties, pour les êtres humains comme pour les esprits, si, comme autrefois, ils pouvaient encore avoir ensemble des relations conscientes? J'ai rencontré des esprits soucieux et désespérés du fait qu'ils ne parvenaient pas à obtenir des vivants qu'ils aimaient un regard ou une pensée qui leur aurait montré que leur présence avait été ressentie et qu'ils avaient été compris. Ils se jetaient, dans leur désespoir, aux pieds des mortels, cherchaient leurs mains, leurs vêtements ou quelque chose à saisir. Toutefois, la main de l'esprit n'avait pas la faculté d'atteindre celle du vivant, et l'oreille terrestre demeurait sourde à la voix de l'esprit. C'est seulement lorsqu'existaient un sentiment d'affliction et une forte aspiration à revoir le disparu, qu'en des cas favorables pouvait être éveillée l'intuition déterminée que le mort susdit était vraiment présent. Il n'existe sur Terre aucun sentiment de désespoir comparable à celui éprouvé par un esprit quand il prend pleinement conscience, pour la première fois, de la signification de la barrière que la mort a élevée entre lui et le monde des vivants. Est-ce si étonnant si, du côté de la vie spirituelle de ceux que recherchent les âmes affligées, tous les moyens sont utilisés pour écarter cette barrière? Pour ouvrir largement la porte afin que les êtres humains et les anges puissent communiquer ensemble sur Terre comme à l'époque de la nuit des temps, alors que les êtres humains étaient voyants? Dans les manifestations spirites sont certainement contenues de nombreuses banalités, beaucoup sûrement sont niaises, insensées, fort vulgaires et très étranges. Il est peu contesté qu'il y ait à l'intérieur de cette mouvance des médiums fallacieux, des fous naïfs et des prétentieux égoïstes. Mais n'en a-t-il pas toujours été ainsi, chaque fois que des vérités nouvellement découvertes cherchaient la reconnaissance générale? Si lourd et insensé que cela puisse paraître, ne devrait-on pas plutôt l'excuser, eu égard au fait que ce sont là des tentatives pour ouvrir les portes du monde fin-matériel afin d'envoyer à la Terre, chargée de soucis, la Lumière de sa sphère? On peut blâmer les efforts faits à contresens, mais aussi chercher à pouvoir les améliorer, appuyant ceux qui tendent vers les choses plus élevées au lieu de les railler et de les opprimer, reconnaissant enfin leurs efforts comme étant ce qu'ils sont vraiment, c'est-à-dire des tentatives d'un monde invisible pour lever le voile qui cache à nos yeux les morts bien-aimés. XI J'allais toujours à ces réunions en compagnie de cet esprit sublime dont j'ai déjà parlé et dont le nom m'a été donné depuis. C'était Ahrinziman, un guide de l'Est. Du fait que je peux maintenant le voir plus distinctement, je vais vous le décrire: un homme à l'aspect majestueux, vêtu de blanc, aux vêtements flottants bordés de jaune et une ceinture jaune autour des reins. Sa peau avait cette teinte brune caractéristique de l'oriental. Les traits du visage étaient marqués du timbre de la franchise et ressemblaient à ceux des statues d'Apollon, bien que leur expression orientale les différenciât légèrement d'avec le type grec. Ses yeux étaient grands, sombres, doux et tendres comme ceux d'une femme. Cependant, en leur profondeur brûlait un feu caché et une ardeur qui, certes, étaient dominés par une forte volonté, mais qui conféraient à son regard et à l'ensemble de ses traits une grande chaleur et une grande force. Cette expression du visage m'indiquait combien, dans sa vie terrestre, elle pouvait lui avoir apporté toutes les douceurs d'un grand amour et toutes les souffrances d'une puissante haine. Ses passions s'étaient maintenant purifiées de toute scorie terrestre et ne servaient plus que de moyens de liaison entre lui et ceux qui, pareils à moi, combattaient encore avec leur nature inférieure. Une courte barbe noire couvrait les joues et le menton. Sa longue chevelure noire ondulée lui retombait sur les épaules. Sa stature, bien que grande et forte, possédait cependant toute la grâce et la souplesse de la race orientale, car la particularité de chaque peuple est si prononcée que l'esprit même porte encore en lui la trace de sa nationalité terrestre.(*) Bien que des siècles se fussent écoulés depuis qu'Ahrinziman avait quitté son corps terrestre, les marques distinctives qui différencient les peuples orientaux des occidentaux n'avaient pas encore disparu chez lui. (*) Il semble, ici, qu'une observation juste ait donné lieu à une interprétation discutable: C'est plutôt, en effet, en un tel cas, le genre de l'esprit qui, du haut vers le bas, s'exprime par le fait de l'incarnation précise dans un peuple bien déterminé. Ce genre étant lié à l'esprit continue donc d'exister bien après la séparation d'avec le corps gros-matériel, ce qui peut donner l'impression que ce sont les influences exercées au cours de la dernière incarnation qui continueraient à perdurer, mais ces particularités s'expriment, en fait, de l'intérieur vers l'extérieur, car ce qui ne serait lié qu'à une incarnation ne pourrait pas durer aussi longtemps... C'est le genre de l'esprit qui s'exprime à travers les Peuples (et non les Nations) et non l'inverse... Sans le "encore", bien comprise, la phrase pourrait toutefois être, quand même, considérée comme juste. Mais la véritablement juste perspective s'obtient, là comme bien souvent, en inversant le point de vue... Cet esprit ressemblait à un homme terrestre vivant mais s'en différenciait toutefois par l'éclat éblouissant de son corps et de son visage, car jamais aucun mot ne pourra décrire la curieuse finesse d'un tel corps. Seul celui qui a vu de ses propres yeux un habitant des hautes sphères peut s'en faire une exacte représentation. Durant sa vie terrestre, Ahrinziman s'était déjà pénétré profondément de la connaissance de l'esprit. Après son entrée dans le monde fin-matériel, il avait accru cette connaissance à un point tel que sa puissance me paraissait sans borne. De tempérament ardent et passionné comme moi-même, il avait appris à dominer toutes ses passions pendant les longues années de sa vie spirituelle. Il se trouvait aujourd'hui au faîte de sa puissance et il en descendait toujours pour assister les esprits combatifs, prêts à lutter contre leurs faiblesses. Outre sa grande bonté et sa serviabilité, il possédait une force de volonté à laquelle on cherchait vainement à s'opposer, quand il estimait nécessaire de l'utiliser. Plus d'une fois j'ai eu l'occasion d'observer moi-même comment il amenait à de bonnes dispositions certains êtres sauvages et violents sur lesquels il agissait, lorsque ceux-ci avaient l'occasion de nuire à d'autres ainsi qu'à eux-mêmes. Ils étaient fascinés et dans l'impossibilité de remuer les membres bien qu'il ne les touchât jamais. C'est sous l'effet de sa puissante volonté, de beaucoup supérieure à la leur, qu'ils étaient temporairement paralysés et incapables de résister. Il discutait alors avec eux de l'objet de la querelle, de manière franche et bienveillante, et grâce à son merveilleux discernement, leur démontrait toute la portée que leur fait pouvait avoir pour eux-mêmes et pour les autres. Après quoi, maintenant qu'il les avait instruits, il leur rendait l'usage de leurs membres et les laissait libres de commettre ou non le péché envisagé. J'en ai rarement vu un qui soit allé son propre chemin après une telle mise en garde. Je fus toujours considéré moi-même comme un homme ayant une forte volonté et qu'on ne détournait pas facilement de ses projets. Mais devant cet esprit, je me sentais faible comme un enfant et je me suis incliné plus d'une fois devant sa puissance. J'aimerais ici insister à nouveau sur le fait que l'être humain est entièrement libre dans le monde des esprits. Il peut obéir à son propre penchant et à son envie si bon lui semble et, s'il préfère, ne pas accepter le bon conseil qu'on lui donne. Mais la mesure dans laquelle un esprit peut léser le droit des autres est conditionnée par le degré de la loi et de l'ordre régnant dans la sphère à laquelle il appartient. Dans les sphères les plus basses, là où il n'existe que la loi du plus fort, chacun peut faire ce qui lui plaît. Un esprit peut en outrager un autre et l'asservir jusqu'à la limite du supportable. Mais un plus fort agira envers lui de la même façon. Les esclaves les moins libres de la Terre sont moins malheureux que ceux que j'ai vus dans les sphères les plus basses. Là ne règne aucune loi et ne vivent que des esprits ayant ignoré toute leur vie les lois divines et humaines. Ils étaient eux-mêmes la loi, dans laquelle ils oppressaient leur prochain d'une manière effrénée en lui infligeant leurs méfaits. Je décrirai cette sphère rapidement. Il semble qu'aussi fort, cruel et dur que puisse être un esprit, il s'en trouve toujours un plus fort que lui, plus cruel, plus mauvais et plus tyrannique pour l'oppresser, jusqu'à ce que finalement l'on parvienne à celui dont on peut dire qu'il règne aux Enfers, chez le Roi du Mal. Cela continue jusqu'à ce que, pour finir, le mauvais se traîne lui-même à la plus haute potence. Le plus méchant et le plus despotique, en fin de compte, aspirera à maintenir l'efficacité de quelque loi ou bien à maîtriser une force qu'il estime supérieure. Ce premier sentiment est l'aspiration initiale à une vie meilleure. Pour les "Frères de l'Espoir" qui sont envoyés pour aider dans ces sombres sphères, cela constitue le point sensible à stimuler, afin d'imprégner un tel esprit de la pensée d'une amélioration possible. En rapport avec sa progression, il trouve à chaque gradation de l'échelle de développement un degré de loi et d'ordre dans lequel il doit s'insérer. Il doit attendre aussi des autres qu'ils s'y conforment, ainsi que le réclament les lois. Une obéissance parfaite aux lois morales les plus hautes ne peut se trouver que dans les sphères les plus pures. Mais il existe beaucoup de gradations jusque là, et celui qui respecte le droit des autres fera les expériences qui respecteront aussi ses droits. Celui qui foule aux pieds les droits de son voisin se verra à son tour piétiné par un plus fort que lui. Dans le monde des esprits, l'être humain est libre à tous points de vue. Il peut être studieux ou paresseux, faire le bien ou le mal, attirer à lui la bénédiction ou la malédiction. Ainsi qu'il est lui-même, ainsi se présentera son entourage. La sphère pour laquelle il est mûr sera toujours pour lui la plus haute, jusqu'à ce que, par ses efforts, il soit devenu digne d'habiter dans une sphère plus élevée. Ainsi le bien ne nécessite aucune protection contre le mal dans le monde des esprits. La différence de disposition érige entre eux une insurmontable barrière. Certes, les plus élevés peuvent toujours, s'ils le désirent, descendre et assister ceux qui se trouvent plus bas. Mais, entre eux et les esprits moins élevés, existe un large abîme que ceux-ci ne peuvent franchir. Ce n'est que sur la Terre et les autres planètes dotées d'une vie matérielle que peut exister un mélange de bonnes et mauvaises influences d'une force presque égale. Je dis bien de force "presque égale" car, même sur Terre, le bien possède la plus grande puissance. C'est donc l'être humain qui s'aliène de lui-même cette puissance par son attachement passionné à sa basse nature. Dans l'Antiquité, alors qu'en son âme encore naïve l'être humain était semblable à un enfant, il était, sans le savoir, en liaison la plus intime avec le monde fin-matériel. Mais les êtres humains se sont aujourd'hui détournés de ce monde, et tels des matelots sur un bateau qui tangue, recherchent cette liaison dans la nuit et la brume. D'amicaux pilotes du royaume de l'esprit se tiennent prêts à leur apporter leur aide pour les diriger vers ce pays rayonnant d'où ils doivent rapporter un trésor de lumière et d'espoir aux combattants fatigués de la Terre. XII Environ trois mois plus tard, je fus convié par Ahrinziman à me préparer à un grand changement de situation. Il s'agissait de mon passage dans une sphère plus élevée. J'ai entendu dire par de nombreux enseignants de l'esprit que les sphères se décomposaient en différentes subdivisions. Cependant, cela n'est pas de trop grande importance que de savoir si elles sont ou non divisées en fonction d'un même plan. Leurs subdivisions ressemblent à des sortes de pays dont les régions frontalières débordent imperceptiblement les unes sur les autres. Les modifications dans le paysage et les gens s'imposent d'elles-mêmes à l'observateur, lors de son parcours. Quelques-uns, à partir de cela, rapporteront qu'il y a sept sphères et que la dernière signifie le Paradis dont il est question dans la Bible. D'autres affirmeront qu'il y aurait douze sphères, et d'autres, à leur tour, mentionneront des nombres encore plus grands! Chaque sphère est néanmoins habituellement divisée en douze cercles, bien que, ici aussi, de nouveau, quelques esprits compteront autrement. Il en est de même sur Terre où les étalons sont eux aussi différents, alors que les objets mesurés restent toujours les mêmes. Moi, personnellement, je suis habitué à compter avec sept sphères au-dessus de la Terre et sept sphères à l'intérieur de celle-ci. J'utilise les expressions "au-dessus de" et "à l'intérieur de" pour la désignation de la proximité ou de l'éloignement respectifs du grand Soleil central de notre système solaire. Ce qui se trouve tout près du point d'attraction du Soleil - mais encore à l'intérieur de la sphère terrestre - est pensé comme la frontière la plus haute qu'il nous soit possible d'atteindre, alors que ce qui se trouve au point le plus éloigné de nous caractérise notre sphère la plus basse et la plus déchue. Chaque sphère est alors, de nouveau, divisée en douze cercles, reliés si intimement entre eux que l'on peut presque imperceptiblement parvenir de l'un à l'autre. J'avais vécu jusqu'ici sur le plan dit de la Terre, lequel, pareil à une grande, large ceinture entoure la Terre et pénètre son atmosphère. Ce plan terrestre comporte, des sept sphères au-dessus et des sept sphères à l'intérieur de la Terre, la première de chaque. L'expression "plan terrestre" est généralement utilisée pour décrire la résidence des esprits qui sont, dans une plus ou moins grande mesure, liés à la Terre, parce qu'il ne leur est pas possible de sombrer plus profond que ne le permettent les attractions terrestres, ni de se libérer entièrement de ces influences. On me déclara que j'avais surmonté mes convoitises terrestres et m'étais libéré de l'attraction de la Terre à tel point que je pouvais passer dans la deuxième sphère. Le passage d'un cercle d'une sphère plus basse dans celui d'une sphère plus élevée ne s'accomplit pas toujours durant un profond sommeil ressemblant à celui de la mort d'un être humain lorsqu'il abandonne son corps terrestre. Du fait qu'un esprit progresse et devient plus éthérique, cette transplantation est accompagnée d'un degré de conscience correspondant plus élevé, jusqu'à ce que, finalement, le passage d'une sphère à une autre plus élevée encore ressemble au remplacement d'un vêtement par un autre un peu plus fin: une enveloppe fin-matérielle est déposée et une autre plus éthérée apparaît. De cette façon, l'âme s'élève, son enveloppe devenant toujours moins terrestre et moins matérielle, jusqu'à la limite de la sphère terrestre après laquelle elle atteint le domaine de la sphère solaire. Au retour d'une de mes visites sur la Terre, je me sentis envahi par un état d'engourdissement étrange. Je me retirai dans ma petite cellule du "Pays du Crépuscule" et m'effondrai dans un sommeil profond. Selon le temps terrestre, je restai environ deux semaines dans cet état. Pendant ce temps, mon âme abandonna son corps astral déformé pour apparaître, ainsi qu'un nouveau-né, dans une plus belle et plus pure enveloppe fin-matérielle, qui s'était formée par suite de mes efforts déployés pour surmonter le mal. Toutefois, ce ne fut pas comme un enfant mais comme un adulte humain que je naquis, ceci allant de pair avec mes expériences et ma connaissance qui avaient été celles d'un esprit mûri. Il existe des mortels dont les expériences de la vie sont si restreintes et dont les facultés spirituelles ont été si peu soignées, qui sont demeurés d'un naturel si simple et si naïf, qu'ils ne peuvent naître que sous la forme d'un enfant dans le monde fin-matériel, quel que soit le nombre d'années qu'ait pu compter leur vie terrestre. Cela ne fut toutefois pas le cas pour moi. M'observant dans mon nouvel état, je constatai que mon corps fin-matériel lui aussi était lié à l'ancien degré que j'avais atteint dans mon existence terrestre. Grâce à l'assistance d'amis spirituels, mon âme renaissante, en état d'inconscience complète, passa dans la deuxième sphère, où je demeurai allongé dans un sommeil sans rêve jusqu'au moment proche du réveil. L'enveloppe astrale que j'avais quittée fut dissoute dans la matière du plan terrestre, exactement de la même manière que pour mon corps terrestre que je quittai lors de ma première mort. La poussière redevient poussière, pendant que l'âme immortelle va renaître dans un état plus élevé. Ainsi en alla-t-il de ma seconde mort, et je me réveillais à la résurrection de mon "Je" plus élevé. Deuxième Partie : La Pointe du Jour Note à nos lecteurs : Nous n'avons pas cru, jusqu'à maintenant, devoir modifier les termes "âme" et "esprit", tels qu'ils sont employés par Franchezzo (à moins que ce ne soit par son médium terrestre...). La raison de cet usage est, sans doute, que dans le langage courant, le mot "âme" continue à bénéficier d'un certain prestige immatériel alors que le mot "esprit" est utilisé comme mot synonyme désignant l'intellect périssable, lié au corps gros-matériel. En réalité, c'est l'esprit (qui n'a rien à voir avec l'intellect) qui est l'être humain réel ! L'âme, c'est l'esprit comme il apparaît dans l'Au-delà, revêtu de son corps de l'Au-delà appelé corps fin-matériel. Si nos lecteurs arrivent à se familiariser avec cette notion de base, alors ils sauront que ce qui est communément appelé "âme immortelle" est, en réalité, l'"esprit immortel". L'enveloppe extérieure de l'âme - son Noyau intérieur étant l'esprit impérissable - disparaît à son tour le jour où l'esprit quitte définitivement les Plans fin-matériels de l'Au-delà pour réintégrer sa Patrie spirituelle: le Paradis ! L'Appel des Hauteurs Mises à jour Suivre l'Appel Œuvres Récits Y penses-Tu ? Enseignement Contacts L'Appel des Hauteurs Mises à jour Suivre l'Appel Œuvres Récits Y penses-Tu ? Enseignement Contacts Franchezzo Avant-Propos Première partie Deuxième partie A suivre... FRANCHEZZO Deuxième Partie - La Pointe du Jour - XIII Après un sommeil semblable à la mort, lorsque je vins pour la seconde fois à la conscience dans le monde des esprits, je me trouvais dans un environnement beaucoup plus agréable. Ici, au moins, régnait la lueur du jour. Si cette lumière était encore trouble, elle m'apparaissait comme un bienheureux changement auprès de la sombre nuit et de l'épouvantable demi-jour dans lesquels j'avais vécu. Je reposais sur un lit d'édredon mou et blanc dans une pièce ressemblant à une propre chambrette terrestre. Une grande fenêtre devant le lit permettait d'embrasser du regard un vaste lointain avec des montagnes et un pays vallonné. On ne voyait certes aucun arbre, aucun buisson ni aucune fleur, exception faite des mauvaises herbes florissantes çà et là. Néanmoins cette pauvre végétation agissait sur l'œil d'une bienfaisante manière. Au lieu du sol dénudé du demi-jour, nous avions ici un tapis d'herbes et de fougères recouvrant le sol. Cette région était nommée "Le Pays de l'Aube". La lumière ressemblait effectivement à celle qui précédait, sur terre, le lever du jour, avant que les rayons du soleil ne réchauffent la terre. Une teinte grise bleutée colorait le ciel et de petits nuages blancs apparaissaient dans le lointain comme de puissantes images stationnaires. Ceux des environs étaient chassés au loin. En fait, il y avait ici alternance de nuages et de lueur du soleil. Bien que l'aménagement de la chambre dans laquelle je me trouvais ne fût nullement luxueux, il donnait cependant une impression de réel confort. Il me rappelait l'intérieur d'une maison de campagne de la Terre. Bien qu'il ne s'y trouvât rien de beau, il contenait toutefois tout ce qui était nécessaire et ne donnait pas cette impression de prison dénudée qu'avait mon ancien logement. Des images représentant des scènes de ma vie terrestre, dont la vue me rappela d'agréables souvenirs, me causèrent un réel plaisir. Et quelle joie! Car je remarquais également mon portrait-miroir, ma rose et ma lettre: tous mes trésors. Je dirigeai mon attention sur le miroir pour voir ce que pouvait bien faire ma bien-aimée. Elle dormait, et son visage avait un heureux sourire, comme si on lui avait fait part, durant son rêve, qu'il m'était arrivé quelque chose d'heureux. Puis, j'allai à la fenêtre et regardai au-dehors sur la longue rangée de collines qui s'étendait devant moi, recouverte seulement d'herbes et de fougères. Longtemps j'ai regardé ce paysage ressemblant à un paysage terrestre mais toutefois différent, si particulièrement dénudé et pourtant si paisible! Déshabitués d'un tel spectacle par mon séjour dans les basses sphères, mes yeux saisissaient avec joie cette vue. La pensée que j'étais à présent éveillé à une nouvelle vie me remplissait d'une inexprimable et profonde reconnaissance. Finalement je me détournai de la fenêtre. Découvrant une glace à proximité, je m'y regardai pour voir si quelque changement était survenu en moi. Je bondis en arrière avec un cri de surprise et de joie. Etait-ce possible? Etait-ce bien mon visage que je voyais là? Je regardai et regardai encore. Etait-ce vraiment moi? Ah! J'étais devenu à nouveau jeune! Je paraissais tout au plus avoir trente-cinq ans, ainsi qu'au temps de mon plus bel âge sur la Terre. Au "Pays du Crépuscule", mon aspect paraissait si vieux, si maigre et si misérable que j'évitais de me regarder. Je paraissais alors beaucoup plus laid qu'il aurait pu en advenir sur Terre si j'étais devenu centenaire. Mais maintenant j'étais jeune! Je levai ma main. Elle était fraîche et ferme comme mon visage. Une nouvelle inspection de moi-même me satisfit encore davantage, car j'étais à nouveau sous tous les rapports un jeune homme dans la fleur de l'âge, mais pas ainsi, toutefois, que je l'avais été. Non! Il y avait dans mon visage un sérieux et une certaine expression indiquant la souffrance que j'avais dû subir. Je savais ne plus jamais pouvoir éprouver la joie débordante et insouciante de la jeunesse, car je ne pouvais redevenir et retourner là où j'avais été auparavant. L'amertume de ma vie passée monta à nouveau en moi. Elle mit un terme à mes pensées sereines. Le repentir de mes péchés renaissait et jetait son ombre sur la joie de ce réveil. Jamais la vie terrestre passée ne peut s'effacer au point qu'aucune trace n'en subsiste sur l'esprit. J'ai appris que des esprits beaucoup plus avancés que je ne l'étais moi-même alors, portaient encore eux aussi la trace de leurs précédents péchés et soucis. Ces marques, dans le courant de l'éternité, ne disparaîtront que très lentement. Une grande joie m'avait été accordée, ainsi que l'accomplissement de mes espérances; cependant l'ombre du passé avec son noir manteau pesait sur la félicité même de cette heure. Pendant que je réfléchissais ainsi à la transformation que j'avais subie, la porte s'ouvrit et un esprit se glissa à l'intérieur. Comme moi désormais il était vêtu d'un long vêtement bleu sombre avec des bordures jaunes et portait sur la manche le signe de notre Ordre. L'objet de sa visite était de m'inviter à une fête célébrée en l'honneur de ceux qui, comme moi, venaient d'arriver des basses sphères. - "Tout ceci est simple, dit-il. De même que nos fêtes. Toutefois, le sel de l'amitié assaisonnera la fête et le vin de l'amour nous rafraîchira tous. Aujourd'hui vous êtes nos hôtes et nous vous attendons tous pour vous souhaiter la bienvenue à vous qui avez soutenu un dur combat et remporté une respectable victoire." Sur ce, il me prit par la main et me conduisit dans un vaste hall aux larges fenêtres, offrant une vue dégagée sur la montagne et sur un grand lac tranquille. De grandes tables étaient garnies pour un repas de fête et tout autour, des chaises nous attendaient tous. Il y avait, en bref, plusieurs centaines de frères arrivés avec moi, et quelques milliers d'autres qui se trouvaient là depuis quelque temps. Ceux-ci allaient de l'un à l'autre pour saluer les nouveaux-venus. Ici et là, l'un d'eux reconnaissait un vieil ami, un camarade ou quelqu'un à qui il avait prêté assistance ou dont il avait été lui-même assisté. Tous attendaient l'arrivée du président de la Confrérie dans cette sphère, lequel était appelé "Le Grand Maître". Soudain on vit s'ouvrir les larges portes d'une des extrémités du hall et une procession fit son entrée. En tête s'avançait un très important et sublime esprit, habillé d'un riche vêtement de ce bleu que l'on peut observer dans les peintures de la vierge Marie. Ses vêtements étaient doublés de blanc et bordés de jaune, et une capuche jaune doublée de blanc lui retombait sur les épaules. Sur la manche on remarquait le symbole brodé de la "Confrérie de l'Espoir". Derrière cet homme suivaient environ cent disciples vêtus de bleu et de blanc, et tenant à la main des branches de laurier. A l'extrémité surélevée de la salle se trouvait un fauteuil superbe avec baldaquin, blanc, bleu et jaune, où le Grand Maître prit place, après nous avoir tous salués. Les disciples se rangèrent en demi-cercle derrière lui. Après une prière d'action de grâce au DIEU TOUT-PUISSANT pour nous tous, le Maître se tourna vers nous avec les mots suivants: -"Mes frères! A vous qui vous êtes rassemblés ici pour souhaiter la bienvenue à ces pèlerins qui doivent, pour quelque temps, trouver repos, paix, amitié et amour dans notre "Maison de l'Espoir", et à vous aussi, nos frères itinérants que nous voulons honorer en qualité de vainqueurs dans le grand combat contre la tentation et le péché, à vous tous nous offrons notre plus cordial salut. Recevez, comme membres de notre grande Confrérie, le signe extérieur de notre hommage, que nous vous offrons parce que vous l'avez honnêtement gagné. Puisse la grande sensation de bonheur qui traverse votre âme vous inciter, dans un amour fraternel, à tendre la main à tous les nécessiteux et à tous les combattants que vous avez laissés dans les ténèbres de la vie terrestre et dans la sphère du plan terrestre. "De même que vous fêterez vous-mêmes à l'avenir des victoires toujours plus nobles, vous devez toujours chercher à donner de plus en plus de ce parfait amour de notre grand Ordre, dont les Maîtres les plus glorieux habitent dans le Ciel et dont les membres les plus humbles sont encore à combattre le péché dans les plans terrestres les plus sombres. Notre Confrérie doit se déployer en une chaîne ininterrompue du Ciel jusqu'à la Terre, aussi longtemps que cette planète entretiendra la vie physique. Et toujours, vous devez avoir présent à l'esprit que vous êtes des maillons de cette grande chaîne, collaborateurs des anges et frères de ceux qui sont opprimés. Je vous convie à présent à recevoir cette branche de laurier inflétrissable qui doit orner le front du vainqueur, et à la porter en décoration. Au nom du Guide le plus élevé de l'Univers et de tous Ses anges, au nom de notre Confrérie, je couronne à présent chacun de vous avec le laurier et vous consacre à la Lumière, à l'Espoir et à la Vérité." Beaucoup de nous furent subjugués par cet hommage et ces mots pleins d'amour. Puis nous, les nouveaux-venus, nous nous avançâmes plus près, et sur un signe, nous nous agenouillâmes devant le Grand Maître pour laisser parer nos têtes. Les disciples passaient leur branche au Maître qui nous couronnait de ses propres mains. Quand le dernier d'entre nous eut reçu sa couronne, une tempête de joyeux applaudissements s'éleva parmi les frères rassemblés. On chanta un magnifique chant de louange dont la mélodie et les paroles étaient si agréables que j'aimerais pouvoir vous le répéter en entier. Quand tout cela fut terminé, chacun de nous fut conduit à sa place par un frère de service, et le banquet commença. On se demandera comment un banquet peut bien avoir lieu dans le monde des esprits. Mais, même sur Terre, tout votre plaisir lors d'une telle fête ne consiste pas seulement en la nourriture que vous prenez et le vin que vous buvez, car chaque fête vous apporte également des joies de nature spirituelle. Ainsi, vous pouvez croire qu'un esprit, lui aussi, éprouve un besoin de nourriture quelconque. Nous en avons besoin et mangeons, bien que nos repas ne soient pas de matière si grossière que les vôtres. Il n'y a pas chez nous de viande ni de choses analogues, excepté dans les plus basses sphères où les esprits liés à la Terre se procurent, par ceux qui sont encore vivants, la satisfaction de leurs convoitises animales. Dans cette seconde sphère, par contre, on trouve les fruits les plus délicieux, qui sont pour les yeux translucides et qui fondent dans la bouche quand on les consomme. Il y a aussi du vin semblable à un pétillant nectar. Il n'occasionne toutefois pas d'intoxication mais incite à en réclamer encore. Il n'y a rien ici, malgré tout, de disponible qui puisse satisfaire une grossière envie de manger, mais seulement de succulentes douceurs et du pain léger. Le banquet se composait de ce repas et de cette boisson. Pour ma part, je n'ai consommé que ces fruits délicieux que je voyais pour la première fois dans le monde fin-matériel. On nous apprit que ces fruits étaient réellement le produit de notre propre travail, qui s'était développé à la suite de nos efforts au service des autres dans la partie fin-matérielle de notre vie. Après que le banquet eut pris fin, nous nous entretînmes encore quelque temps et un chant de grâce auquel tous participèrent clôtura la fête. Puis, nous nous dispersâmes. Beaucoup allèrent sur Terre visiter des amis et leur annoncer, dans la mesure du possible, l'heureux événement que nous vivions. Beaucoup d'entre nous, toutefois, étaient encore regrettés comme "âmes perdues" et mortes dans le péché. Il était très pénible pour nous de ne pas parvenir à faire comprendre à ces amis de la Terre que nous vivions désormais dans une espérance heureuse. D'autres frères allèrent pour converser en compagnie d'amis spirituels retrouvés, pendant que, de mon côté, je me hâtais sur le champ d'aller moi-même sur Terre apporter la bonne nouvelle de mon élévation à ma bien-aimée. Elle entendit mon chuchotement, sourit et me répondit qu'elle avait eu le sentiment que cela avait eu lieu... Ma joie, dès lors, fut complète et le bonheur de mon jour d'honneur avait atteint son sommet. XIV Maintenant, c'était une heureuse période qui commençait pour moi; une cure de repos et de récupération que je passais la plupart du temps auprès de ma bien-aimée. Certes, elle ne comprenait pas encore tout ce que je lui disais, mais quand même beaucoup, et mes visites chez elle me prenaient tant de temps qu'il me restait à peine le loisir de fouiller les merveilles du "Pays de l'Aube" dont j'étais devenu l'habitant. Bientôt une nouvelle surprise me fut réservée. Au cours de mes déplacements, depuis ma mort, je n'avais jamais eu l'occasion de rencontrer l'un de mes parents arrivés avant moi dans le monde des esprits. Cependant lorsque, un certain jour, j'arrivai en visite chez ma bien-aimée, elle se montra fort mystérieuse à cause d'un message qu'elle avait reçu et qu'elle devait me transmettre. Elle me raconta peu après qu'un faire-part venant d'un esprit l'avait atteinte et que cet esprit prétendait être mon père. Il avait désiré qu'elle me transmette son message. Je fus saisi à ces mots d'une telle agitation que je pouvais à peine parler. Sur Terre, j'avais beaucoup aimé mon père, car ma mère était morte si tôt que je ne m'en souviens que très faiblement. Mais mon père était tout pour moi. Il prenait part avec joie et fierté à tous les succès de son fils et fondait les plus grands espoirs sur son avenir. Lorsque je fis naufrage dans ma vie, je vis que mes défaillances lui avaient brisé le cœur. Il ne survécut pas longtemps à l'effondrement de tous ses espoirs. Je ne pouvais penser à lui, après sa mort, qu'avec douleur et avec la honte la plus profonde. Par conséquent, lorsque j'entendis que mon père avait quitté son séjour dans l'au-delà pour venir parler avec ma bien-aimée, je craignis que ses paroles ne fussent rien d'autre que des plaintes sur son fils dénaturé. Aussi, j'avais hâte de savoir si son message contenait une parole de pardon pour son fils qui avait tant péché. Je ne pourrais répéter ses paroles ni dépeindre l'impression qu'elles firent sur mon âme. Ces paroles tombèrent sur mon âme comme la rosée sur une terre languissante. Le père de la parabole biblique a eu certainement de semblables paroles d'amour et de bienvenue pour son fils prodigue. Combien je sanglotais à entendre ma bien-aimée me répéter son message et combien j'aspirais à revoir mon père et à nouveau me reposer sur son cœur ! A peine avais-je émis ce désir qu'il fut exaucé. Lorsque je me retournai subitement, je vis mon père qui se tenait à mes côtés. Il était exactement le même qu'aux derniers temps de sa vie terrestre. Mais au-dessus de sa tête rayonnait un signe glorieux qu'aucun œil de mortel ne peut jamais voir. Nous n'eûmes pas d'autres mots que: "Mon père!", "Mon fils!" pour nous saluer, et nous nous étreignîmes avec une joie sans borne. Quand notre émotion se fut un peu calmée, nous parlâmes de celle dont l'amour m'avait accompagné sur la voie vers les hauteurs. J'appris alors que c'était mon père qui avait veillé sur nous, qu'il nous avait aidés et protégés. Il m'avait suivi dans mes déplacements dans le monde des esprits et, durant mes combats, m'avait protégé et consolé. Caché certes à ma vue, il avait toujours été cependant près de moi, infatigablement et dans un amour secourable. Tandis que je me morfondais à la pensée d'une rencontre avec lui, il était là, attendant une occasion de se manifester. Il était parvenu à établir une liaison grâce à celle avec qui, par mon amour, j'étais en si étroit contact, et, par la joie des retrouvailles, à nous amener à des relations encore plus intimes. XV Lorsque, après cette entrevue mémorable, je revins au "Pays des Esprits", mon père m'accompagna et nous restâmes ensemble encore longtemps. Là, il m'apprit qu'il était question pour nous d'entreprendre une expédition de sauvetage dans la sphère la plus basse, dans une sphère encore plus basse que celle que j'avais visitée jusqu'ici et qui était vraiment l'enfer évoqué par l'église. Combien de temps devait durer notre expédition? Nous l'ignorions! Nous savions seulement que nous avions à remplir un devoir déterminé et, pareils à une armée d'invasion, devions persévérer jusqu'à ce que notre but soit atteint. Mon guide me conseilla de me joindre à cette compagnie. Mon père, lui aussi, souhaitait me voir partir avec cette armée de combattants pour la Lumière, la Vérité et l'Espoir. Pour combattre avec succès ces puissances du mal, il fallait être sorti des tentations du plan terrestre et des sphères encore plus basses. Mais d'autre part, afin de pouvoir prêter une assistance efficace aux malheureux, on ne devait pas appartenir aux sphères élevées. Car les esprits qui sont plus avancés que les Frères de l'Espoir de ce premier cercle de la seconde sphère ne peuvent être vus ni entendus des indigents. Et aussi, pour devenir visible, il nous faut, lors du franchissement de cette sphère la plus basse, attirer à nous un peu de leur revêtement matériel, ce dont un esprit plus élevé ne serait pas capable. Les aides des sphères plus élevées qui nous accompagneraient pour nous protéger seraient invisibles pour nous, tout comme pour ceux à qui nous viendrions en aide. Les participants à l'expédition se tenaient, d'après leurs aptitudes, sur le même degré que moi-même. Nous sentions tous que nous allions beaucoup apprendre par l'observation personnelle des états avilissants dans lesquels nos passions auraient pu nous-mêmes nous conduire au cours de leur satisfaction permanente. En même temps, nous pourrions aussi, de ces sombres sphères, sauver beaucoup de pauvres âmes repentantes et les conduire là où j'avais moi-même séjourné à ma première sortie de la vie terrestre, là où d'innombrables endroits existent pour accueillir des esprits. Ceux-ci étaient alors suivis par des personnalités qui, ainsi qu'eux-mêmes, avaient été sauvées du domaine de l'enfer et qui étaient, de ce fait, mieux douées pour leur prêter assistance... De semblables expéditions étaient envoyées dans les sombres sphères, non seulement par la Confrérie de l'Espoir mais aussi par d'autres confréries du "Pays de l'Aube". Toutes ces entreprises constituaient une partie de cette grande œuvre de sauvetage qui est continuellement en cours, au nom du Père Eternel, en faveur des pécheurs, car Dieu ne donne aucun de ses enfants à l'éternel tourment.(*) (*) … aussi longtemps qu'existe encore en lui une authentique et forte Aspiration vers la Lumière. Nous savons toutefois, maintenant, notamment grâce au Message de JESUS, qu'un terme est fixé à l'évolution de l'esprit dans la matière par ce que l'on appelle le "Jugement Dernier", qui intervient dans toute la Création matérielle, fine et grossière (de l'Au-delà et de l'En-deçà). Ces expéditions devaient être commandées par un guide, lui-même sauvé des sphères sombres et qui en connaissait les dangers particuliers. Mais comme on avait l'intention de prendre, à travers le plan terrestre et les sphères plus basses, un chemin que nous ne connaissions pas encore, mon guide de l'Est promit de m'envoyer l'un de ses élèves. Il m'accompagnerait jusqu'aux sphères les plus basses pour m'éclairer sur quelques secrets du plan astral que nous devions traverser au cours de notre voyage, et me faire faire connaissance avec eux. Hassein (ainsi s'appelait l'élève) explorait chaque secret de la nature tombant dans le domaine de la "magie", qui était tenue pour mauvaise alors que ce n'est que le mauvais usage de cette force qui doit être considéré comme mauvais. Une meilleure connaissance de ces phénomènes "occultes" servirait à prévenir de nombreux méfaits existants et à contourner avec succès quelques-unes de ces mauvaises puissances qui sont souvent préjudiciables à l'être humain en raison de sa regrettable ignorance. Cet esprit élevé, tout comme Ahrinziman lui-même, était de nationalité persane. Chacun d'eux appartenait encore à cette école philosophique dont le grand fondateur fut Zoroastre. "Dans le monde des esprits, disait Ahrinziman, il existe un grand nombre d'écoles d'orientation différente, dans lesquelles toutes les vérités fondamentales sont enseignées. "Elles se différencient l'une de l'autre par plusieurs points accessoires. Ce qui est principalement remarquable, c'est qu'elles sont d'un avis partagé au sujet de la manière d'appliquer cette grande Vérité au développement de l'âme. Elles se différencient aussi sur la manière d'arriver à leurs fins lorsqu'il s'agit d'étendre leur savoir sur les choses dont elles n'ont encore aucune connaissance certaine. C'est une erreur de croire que dans le monde des esprits de notre planète, il y a un savoir absolu qui pourrait éclairer les grands secrets de la Création, tels le pourquoi de notre existence, l'existence du Mal en rapport avec le Bien, ou bien celle de l'âme et son origine en provenance de DIEU. "Les flots de la Vérité Eternelle fluent constamment du grand Centre Spirituel de l'Univers et sont transmis à la Terre par la chaîne des "intelligences" fin-matérielles. Il se peut néanmoins qu'un esprit ne transmette que dans la mesure de sa faculté de compréhension en rapport avec son développement. Et un "vivant" n'est capable d'assimiler que ce que ses facultés fin-matérielles lui permettent d'accepter et de comprendre en fait de Savoir. "Pas plus les esprits que les vivants ne sont omniscients. Les premiers ne peuvent transmettre que ce que leur disent leurs écoles respectives, et les représentants qualifiés de leur enseignement. Ils ne peuvent aller au-delà, car au-delà de ce point ils ne savent rien eux-mêmes. Ceux qui prétendent posséder les vrais et uniques éclaircissements sur les grands Mystères ne peuvent transmettre que ce qui leur a été enseigné à eux-mêmes par des esprits plus avancés. En me basant sur l'autorité d'un autre qui, dans le monde fin-matériel, est reconnu comme un guide des plus avancés, j'affirme qu'il est tout à fait impossible de donner une réponse définitive pour les questions dernières, ou bien de vouloir éclairer des choses qui dépassent de loin les capacités de l'esprit le plus élevé, et qui doivent dépasser infiniment le pouvoir de saisir de notre sphère terrestre. Les réponses et éclaircissements à ces questions présumeraient une connaissance sans limites de l'Univers. Et plus encore, une intimité avec la Nature de cet Etre Suprême qui, pour tout esprit conscient, ne peut être autre chose que la Grande Vérité inexplorable et inconnue, comme Esprit(*) infini et illimité en tout point. "Mais tout ce que les esprits et les êtres humains peuvent démontrer et expliquer ne peut l'être que dans le cadre de leur savoir respectif. Au-delà de ce dernier existent à nouveau des limites qu'aucun d'eux ne peut franchir. Comment peut-on montrer la fin dernière à Celui Qui n'a pas de Fin? Ou encore, comment est-il possible à quelqu'un de sonder les énormes Profondeurs de l'Esprit Infini, qui est insondable? L'Esprit est aussi Eternel et Inexplorable que la Vie. Il est Infini et Pénétrant en tout. DIEU est en tout, au-dessus de tout! Personne cependant ne connaît Sa Nature ni de quelle manière est Son Etre. Nous savons seulement qu'IL est présent en tout et partout(**). Plein de vénération, l'intellect de l'être humain doit s'arrêter, dans le sentiment de sa petitesse, justement sur le seuil de ses interrogations, là où il voudrait pénétrer. La seule chose qu'il peut faire est d'explorer humblement et prudemment chaque marche, et de rendre ainsi sûre la prochaine marche avant de s'y engager. Même les esprits les plus sublimes et les plus hardis ne peuvent pas tout saisir à la fois. Avec sa vision limitée, l'être humain de la Terre peut-il espérer que tout doive lui être éclairé, là où les "intelligences" les plus avancées du monde spirituel se sentent elles-mêmes toujours entravées par leur impuissance, au cours de leur recherche de la Vérité?" Note à nos lecteurs : (*) DIEU est DIEU ! Sa Volonté est Esprit ! (**) La Force de DIEU est en tout et partout ! Comme il l'avoue ici lui-même, le savoir d'Ahrinziman est encore imparfait, de sorte que le vocabulaire qu'il utilise - ou qui est retransmis par le médium - n'est pas rigoureusement conforme à la Réalité. En particulier, les points suivants sont à considérer: 1) DIEU n'a pas de "Nature", à proprement parler. IL n'est donc pas une "Entité" (= Quelqu'un qui a reçu une Nature, des Attributs de la part de quelqu'un d'autre) mais "IL EST". IL est non seulement la Source de tout Être ou "l'Être suprême" mais l'ÊTRE "tout court", nous disons qu'IL est "Inentéallique" (= Qui est sans Nature, sans Genre, sans Caractères ni Attributs définissables, donc incréé et insubstantiel). 2) Le Savoir ultime ne peut être qu'humblement reçu - et non découvert - par l'esprit humain, dans la mesure où, par Révélation, il lui est, de marche en marche, en allant vers le bas, transmis par la Chaîne de Guidance, en provenance de Sphères plus hautes. 3) Une seule rare exception à cela: l'Ancrage direct d'un Message Divin, pouvant même - Amour inconcevable! - aller jusqu'à descendre jusqu'à une planète gros-matérielle comme la Terre. C'est, notamment, le cas du Message de Jésus, arrivé jusque sur la Terre il y a près de deux Millénaires et aussi connu dans l'Au-delà fin-matériel, même si c'est souvent avec des déformations. XVI L'ami qu'Ahrinziman m'envoyait pour m'accompagner et m'instruire avait, selon le point de vue terrestre, l'aspect d'un jeune homme de vingt-cinq à trente ans. Il me déclara avoir cependant vécu sur Terre plus de quatre-vingts ans! Son actuelle apparence donnait son degré de développement spirituel, déterminant pour l'appréciation de l'âge d'un esprit. Plus un habitant de l'au-delà déploie ses facultés fin-matérielles, plus son apparence porte le cachet de sa maturité, jusqu'à ce qu'elle devienne finalement celle d'un sage, sans toutefois montrer les rides et les imperfections de l'âge terrestre. Seules la dignité, la puissance et l'expérience de la maturité atteinte arrivent à s'exprimer. Si, par conséquent, un esprit a atteint le plus haut degré de développement possible de la sphère terrestre (ou de celle d'une autre planète), il a alors l'aspect de l'un de vos patriarches et passe dans ce cas dans la sphère plus élevée et plus développée au-dessus du système solaire auquel appartient la planète en question. Là, il recommence son cycle de vie en tant que jeune homme, car, en comparaison de celui des esprits beaucoup plus avancés de cette haute sphère, son degré de développement n'est que celui d'un jeune homme. Hassein me raconta qu'il étudiait actuellement les différentes forces et formes de la nature dans les domaines se trouvant en-dessous de la vie de l'âme, et qu'il était en mesure de m'éclairer sur beaucoup de choses remarquables qui nous tomberaient sous les yeux au cours de notre voyage. -"Beaucoup d'esprits, disait-il, traversent la sphère du plan astral sans être conscients des habitants fantômes de celle-ci. Et cela parce que leurs sens ne sont pas suffisamment développés pour percevoir leur environnement dans tous ses détails. "Sur Terre, il en est également ainsi. Là, beaucoup de personnes sont incapables de voir les esprits à leur côté, pendant que ces derniers sont parfaitement visibles à quelques êtres humains plus finement disposés. De plus, sur Terre, il y a des gens qui peuvent percevoir, non seulement les esprits d'êtres humains, mais aussi les êtres astraux et les entéaux(*) qui, en réalité, ne sont pas des esprits. On ne doit désigner comme tel que ce qui porte en soi le germe immortel de l'âme. Beaucoup d'êtres entéalliques que nous verrons n'ont jamais possédé d'âme, et d'autres encore ne sont que des coquilles vides de laquelle l'étincelle de l'âme s'est déjà échappée. Et afin de pouvoir différencier une âme-esprit d'une être astral, il faut avoir le don de double vue. Certains, qui n'ont qu'un degré imparfait de clairvoyance, sont bien en mesure de percevoir les êtres entéalliques et astraux mais ils sont incapables de faire nettement la différence entre ces derniers et les formes des âmes spirituelles. Parmi ces clairvoyants imparfaits il règne une grande confusion sur la nature et les propriétés de ces sortes d'êtres. (*) entéaux = êtres entéalliques, entités de la Nature, (êtres) élémentaux "Chez les êtres humains de la Terre, on observe plusieurs degrés de clairvoyance que tous expérimentent sur le degré suivant de l'existence, après que le corps spirituel - ou âme - a été libéré du grossier élément de la matière physique. Ainsi continue-t-il à en aller de même progressivement, dans la mesure où l'âme rejette, l'une après l'autre, ses enveloppes matérielles: d'abord la grossière de matière terrestre puis celle de la gradation suivante de la matière fine. Nous ne pouvons croire à une complète séparation de matière et d'âme, pour le moins aussi longtemps qu'elle vit une existence consciente dans le système solaire. Au-delà de ces limites, nous n'avons aucune connaissance déterminée et tout ne peut être qu'objet à spéculation. "Le degré de développement de l'âme est en relation précise avec le degré de pesanteur de la qualité de la matière qui l'enveloppe. Suivant la plus ou moins grande finesse ou la plus ou moins grande éthérisation de la matérialité de son corps, l'âme y habitant se fixe à un état approprié plus ou moins élevé. "Dans mes représentations de la voyance, je ne parlerai tout d'abord que du premier degré de la vie consciente de l'âme. Jusqu'au moment opportun, je néglige les théories et opinions qui sont liées à ce qui s'est produit avant l'état de conscience actuel de l'être humain, et aussi ce qui sera s'il franchit les limites de notre savoir actuel. "Nous trouvons, sur les degrés terrestres de la vie, des personnes, pour la plupart des femmes ou des jeunes garçons, qui sont pourvues de plusieurs degrés de voyance. Les trois premiers degrés se trouvent très fréquemment; les quatrième et cinquième plus rarement. On ne rencontre presque jamais les sixième et septième, excepté chez les personnes qui possèdent, à cet effet, une disposition particulièrement appropriée. Cette particularité est à attribuer à l'influence des constellations sous lesquelles elles sont nées. Principalement à l'influence qui régnait au moment où l'enfant a vu le jour. Ces sixième et septième degrés sont si rares qu'ils ne sont que très peu rencontrés. De temps à autre on en trouve bien avec un sixième degré imparfait, mais qui ne possède rien du septième degré. En pareil cas, les personnes concernées ne peuvent jamais parvenir à une voyance parfaite. Le résultat de cette déficience est comparable à des verres de lunettes sales, on n'a qu'une vue imparfaite de la chose suprasensible. Si de telles personnes ont, jusqu'à un certain point, un coup d'œil dans la sixième sphère, leur vue défectueuse diminue de beaucoup la valeur de ce qu'elles annoncent. "Toutefois, ceux qui possèdent parfaitement le sixième degré de regard fin-matériel peuvent, en esprit, être élevés même jusqu'à la septième sphère qui, en tant que la plus élevée, signifie le Ciel de la sphère terrestre. Ainsi que Jean, dans le Nouveau Testament, ils verront alors des choses ineffables. A cet effet, il est nécessaire que l'âme soit libérée de tout lien avec le corps physique, à l'exception du mince fil qui sert de lien entre le corps et l'âme et dont la destruction provoque pour toujours une séparation des deux éléments. On peut donc dire qu'en un tel moment, les voyants se trouvent hors de leur corps. "Il est cependant difficile et dangereux de transporter une âme dans la septième sphère. Même là où la force à cet effet est existante, cela ne peut se produire qu'avec des personnes extraordinairement douées et dans des circonstances tout à fait particulières. La même chose doit être dite des voyants des degrés inférieurs, mais avec la différence toutefois qu'ici, les facultés pourront être utilisées d'autant plus facilement et plus sûrement qu'elles sont moins sublimes. "Chaque voyant ne peut regarder que dans la sphère qui correspond au degré de sa faculté. C'est cependant un fait à remarquer que beaucoup de clairvoyants possèdent parfaitement un ou plusieurs degrés de vision fin-matérielle et, en outre, un autre plus élevé mais imparfaitement développé. Quand c'est le cas, on observe que le médium n'est pas fiable, qu'il confond les visions. Car, lorsque rentre en action le degré défectueux, le résultat est semblable à ce qu'il se produit lorsqu'on observe un objet avec un bon et un mauvais œil à la fois. Il est de beaucoup préférable de ne rien posséder du tout plutôt qu'une fraction de degré. C'est le degré défectueux qui provoque la confusion lors de l'utilisation du degré parfait. Avec cette faculté défectueuse, on doit faire comme lorsqu'on possède un œil mauvais: on doit fermer celui-ci afin que la vision, bien que limitée, soit tout de même juste. "Quand, parmi leurs élèves, les anciens découvraient de parfaits clairvoyants dans un ou plusieurs degrés, ils freinaient chez ceux-ci la poursuite du développement, aussi longtemps que la vision imparfaite d'un degré plus élevé pouvait léser la valeur des autres qu'ils possédaient. De cette manière, ils étaient en état d'éduquer plusieurs clairvoyants dignes de confiance avec des facultés modérées, qui, par de plus grands et plus opiniâtres efforts pour se développer, auraient beaucoup plus perdu que gagné. "Dans l'ancien temps, les clairvoyants étaient répartis en plusieurs classes, comme c'est encore le cas aujourd'hui dans certaines écoles de prophéties de l'Orient. Toutefois, jusqu'ici, cet art n'est plus connu d'une manière aussi parfaite qu'autrefois, quand les peuples orientaux sur la Terre étaient au faîte de leur puissance. Chaque classe nécessitait une éducation spéciale, s'accordant avec le degré respectif de la faculté et du genre du don. Jadis, il n'existait pas en pareille chose cette étrange combinaison de haut talent et de grande ignorance comme c'est le cas de nos jours. Ce n'est que l'incapacité d'utiliser ce don justement et sagement qui produit des imprécisions en de nombreux cas et aussi de nombreux désagréments, tant pour le médium que pour ceux qui veulent aller le voir en vue d'acquérir la connaissance spirituelle. "De même que l'instructeur de jeunes gymnastes s'imagine à tort que, pour le développement des muscles de ses élèves, il peut les surmener dans leur rendement sans leur causer de dommage, il en va exactement de même chez ceux qui s'occupent du développement de leur force médiale pour en faire un usage exagéré et déraisonnable. "Quand la connaissance spirituelle sera plus développée sur la Terre, certains hypersensibles, doués des forces nécessaires, recevront des directives qui les rendront capables, sous conduite, de discerner les bas esprits des esprits élevés. Une grande part de la confusion et du danger sera peu à peu éliminée de cette manière. "Du point de vue spirituel de la vie, il existe beaucoup d'enseignants qui se sont consacrés durant des siècles à l'étude des formes d'existence incarnées sur Terre. Aujourd'hui, ils recherchent justement partout des portes ouvertes par lesquelles transmettre la connaissance qui est d'une véritable utilité pour les hommes. "Beaucoup ne pouvait pas encore être communiqué. Mais cela serait possible en bien des points et, dans la mesure où la connaissance en la matière sera donnée, les âmes sur Terre s'élargiront et se développeront..." Je remerciai mon nouvel ami pour son information et pour la perspective de son offre d'aide. Puis, avant mon départ en expédition, je me rendis sur la Terre pour faire mes adieux à ma bien-aimée. Nous ressentions tous deux profondément combien nos relations allaient être perturbées car, si limitées qu'elles fussent par l'abîme qui nous séparait, elles nous apportaient cependant une grande joie à l'un comme à l'autre. A mon retour, je fus invité à prendre congé de mon père et de mes amis, puis à rejoindre mes compagnons de voyage dans la grande salle afin d'y recevoir la bénédiction de notre Grand Maître. Sitôt fait, notre expédition se mit en route accompagnée des vœux de toute la Confrérie rassemblée. XVII On ne peut se faire une meilleure représentation de la route prise pour notre voyage qu'en pensant à une énorme spirale dont la ligne tourne en anneaux circulaires de haut en bas. Un petit point, pas plus gros qu'une tête d'épingle, comme essieu d'une grande roue imaginaire, représentait la Terre au centre de ces anneaux circulaires. Un nombre égal de cercles se trouvait au-dessus et en dessous de la Terre. Les cercles sont disposés dans le même ordre et s'enroulent en commençant près de l'essieu, dans la sphère la plus basse et autour de celle-ci. Ils montent, de cette manière, dans les sphères plus élevées et atteignent finalement la fin de la spirale qui est près de notre soleil central, avec lequel est caractérisé le degré le plus élevé pouvant être atteint par le développement terrestre. Cette description donnera au lecteur une image grossière de la Terre et des sphères qui s'y rattachent, et lui permettra de comprendre comment, de la seconde sphère, nous sommes descendus dans celle du dessous et avons dû traverser le plan terrestre pendant notre voyage. Alors que nous traversions ce dernier, j'aperçus beaucoup d'esprits de mortels qui se hâtaient çà et là, ainsi que j'avais l'habitude de les voir. Mais maintenant, pour la première fois, j'observais que beaucoup de formes fantomatiques planantes se tenaient auprès d'eux, semblables à ces ombres que j'avais vues au "Pays du Froid", dans l'entourage de l'esprit dans la cage de glace. Quelques-unes paraissaient vivaces et très acerbes, mais un examen plus approfondi me montra que la lueur de l'intelligence manquait dans leurs yeux et leur expression. A leur aspect d'abandon et de déchéance, on avait l'impression de voir des poupées de cire insuffisamment gonflées. En fait, on ne peut donner de leur apparence une meilleure définition. Au cours de mes déplacements précédents, je n'avais jamais distingué ces êtres. Quand j'en demandai la raison à Hassein, il me répondit: "La raison principale était que ton travail t'absorbait trop, et ensuite que ta faculté visuelle n'était pas assez développée. Tiens, regarde là!", continua-t-il en attirant mon attention sur un petit groupe bizarre qui se rapprochait de nous en dansant comme des enfants, la main dans la main. "Observe-les. Ce sont les émanations fin-matérielles corporelles d'âmes et de corps enfantins. Elles se condensent en ces drôles de petites images quand elles arrivent en contact avec l'un des grands courants de vie qui tournent autour de la Terre en amenant sur leurs flots les rayonnements d'hommes, de femmes et d'enfants. Ces petits êtres bizarres n'ont pas de vie personnelle consciente, ainsi que le confère l'âme, et elles sont si fugitives et si éthérées que leur image se modifie comme les nuages dans le ciel. Vois comme elles se réduisent et se forment à nouveau." J'étais si étonné de ces apparitions naturelles et vivantes ainsi que de leur soudaine disparition qu'ayant remarqué mon air ahuri, Hassein me dit: -"Ce que tu viens de remarquer à l'instant n'est qu'une forme éthérée de vie élémentale, insuffisamment matérielle pour exister longtemps sur le plan terrestre. Elle est pareille à de l'écume produite par de la vie et de la pensée terrestres, rejetée par le mouvement des vagues. Constate maintenant combien la pesanteur de celle-ci est plus marquée sur le plan astral lorsque sa formation doit à l'impureté." Je remarquais maintenant, affluant vers nous, un grand nombre d'images sombres, déformées, humaines et cependant inhumaines dans leur aspect. -"Celles-ci, dit Hassein, sont les entités qui surviennent du délire de l'ivrogne. Attirées par son magnétisme corrompu, elles s'accumulent toujours plus nombreuses autour de lui, qui ne peut plus les repousser du fait qu'il a perdu la force de volonté nécessaire à sa protection. De telles "créatures", avec une sorte de disposition humaine gloutonne, se suspendent à lui ainsi que des insectes vénéneux et lui aspirent sa puissance vitale physique comme des sangsues ou des plantes parasites. Il n'est pas de meilleure aide, pour un tel ivrogne, que de trouver sur le plan terrestre de la vie quelqu'un qui possède une puissante volonté et une force magnétique suffisante. Que cette personne prenne le malheureux sous sa protection et le soumette à sa volonté et à l'influence de sa forte puissance magnétique, et le dernier fantôme ne sera alors bientôt plus capable de se maintenir longtemps dans le courant de magnétisme curatif qui se déverse sur le malade et ses parasites. Le magnétisme sain agit comme du poison sur ces créatures et les tue. Elles se détachent de l'ivrogne. Leurs corps perdent de leur cohésion et se dissolvent en vapeur. Cependant, si ces entités n'ont pas reçu une dose suffisante de magnétisme sain pour leur destruction, elles continuent à évoluer et flottent des années durant aux alentours jusqu'à ce qu'elles soustraient la force de vie physique à un être humain ou à un autre et parviennent, avec le temps, à un certain degré de vie bestiale indépendante. "Elles peuvent être utilisées en cet état par des êtres d'une plus haute intelligence pour l'exécution de travaux auxquels conviennent leurs organisations respectives. En vérité, ces "créatures" vivent et se nourrissent mais ne possèdent pas d'âme. Une certaine classe de magiciens noirs, ainsi nommés, s'en sert lors de leurs expériences et les utilise principalement dans les combats contre leurs adversaires. Semblables à des polypes du sombre fond de la mer, de tels êtres astraux attirent à eux ceux qui, non protégés par des puissances supérieures, osent s'occuper d'eux, et les déchirent de leurs ongles insensibles. - Explique-moi maintenant, ami Hassein, si, lorsqu'ils sont fixés à un buveur, ces êtres astraux peuvent l'obliger à boire davantage ainsi qu'il en est lorsque l'esprit lié à la Terre d'un ivrogne décédé en influence un autre qui se trouve encore dans la chair? - Non! Lorsqu'un être humain se livre à la boisson, grâce à la détérioration de son magnétisme qui en résulte, ces êtres peuvent plus aisément s'approcher de lui pour s'en nourrir. C'est la force animale ou force vitale qu'ils convoitent. Elle est la substance vitale pour eux, comme l'eau pour la plante. Mais par le fait qu'ils ravissent sa vitalité à leur victime, ils engendrent en lui une sensation d'épuisement telle que le buveur doit avoir recours à des fortifiants. Ils n'ont aucune influence pour inciter le buveur à boire davantage. Ces entités ne sont que des parasites et leur intelligence est d'une espèce si rudimentaire qu'on peut à peine la désigner par ce nom. "Pour manifester une pensée et pouvoir la transmettre à un autre, la possession d'une âme, c'est-à-dire d'une étincelle d'essence divine, est requise. Si une telle chose est donnée à un être, il possède alors une individualité indépendante dont il ne peut jamais être déchu. Il peut larguer enveloppe après enveloppe ou sombrer dans des formes plus grossières de la matière, mais, une fois doué de la vie de l'âme, il ne peut jamais cesser d'exister. Et avec son existence lui restent, reçues pour toujours, l'individualité ainsi que la responsabilité personnelle de ses actes.(*) (*) La "substance" de l'âme est, de toutes façons, impérissable, mais la personnalité, semblable à un enregistrement effectué sur la substance, pour subsister éternellement, doit avoir passé avec succès, le "Jugement Dernier", ce qui prouve sa bonne qualité. Sinon, l'"enregistrement" est "effacé". Il est exclu que le Créateur Parfait conserve éternellement de mauvais "enregistrements". "Cela est valable tout autant pour l'âme humaine que pour le principe de l'âme intelligente, comme il est dit pour l'animal ou des formes inférieures de vie de l'âme. "Partout où l'on observe une faculté de réflexion, soit chez les êtres humains en tant que type le plus élevé, ou chez les bêtes en tant que type inférieur de vie de l'âme, l'on peut être assuré qu'il s'agit d'une âme et qu'il ne peut venir en question qu'un degré plus ou moins élevé d'essence fin-matérielle. "Nous observons chez l'être humain, comme chez les animaux, une faculté d'intelligence qui les différencie seulement d'après leur degré. De ce fait, l'école philosophique à laquelle j'appartiens tire la conclusion que tous deux possèdent, de la même manière, une consciente et intelligente immortalité, différenciée toutefois selon l'espèce et le degré d'essence fin-matérielle, tandis que les bêtes comme les êtres humains semblent avoir, devant eux, un éternel futur pour leur développement.(*) (*) C'est l'impression que toute créature peut avoir, avant que la fin du temps prévu pour le Développement ne soit venue! "Quelles sont les limites de la réalité de ces lois? Nous ne pouvons le dire! Nous tirons nos conclusions de l'existence, dans le Monde fin-matériel, des êtres humains et des bêtes qui ont vécu auparavant sur Terre et aussi du fait que les deux se trouvent à un stade plus avancé de l'évolution que ce ne serait le cas dans l'existence terrestre. "Il n'est pas possible à un parasite sans âme d'influencer la conscience d'un vivant. De telles influences sont dues à des âmes qui ont été incarnées sur Terre et qui ont tellement satisfait leurs bassesses dans leur précédent état qu'elles ne peuvent plus se libérer des chaînes de leur corps astral. Ces âmes visitent la Terre et incitent les êtres humains à boire et à pratiquer leurs vices. Elles sont en état de dominer l'être humain soit partiellement soit entièrement. Le plus souvent, cela se produit quand l'esprit revêt en partie, de son corps fin-matériel, cet être humain qu'il veut influencer, et ce jusqu'à ce qu'une jonction soit établie entre eux (à peu près comme on s'imagine deux enfants jumeaux ayant grandi ensemble et possédant, il est vrai, des corps différents, mais qui sont si intimement associés en esprit que ce que l'un éprouve est aussi ressenti par l'autre). De cette façon, tout le plaisir qu'éprouve le vivant à boire, incité en cela par l'esprit, est aussi partagé par ce dernier. Quand le médium est devenu inapte à boire, l'esprit se détache de lui et s'en va à la recherche d'un autre être masculin, ou d'une victime féminine, de faible volonté et de goût dépravé. "Toutefois, l'esprit et le vivant ne parviennent pas toujours à se libérer de l'étrange alliance survenue entre eux, par suite de leur satisfaction en commun de la même convoitise. Après de longues relations de cette sorte, il est très difficile pour les deux parties de se séparer. Esprit et humain peuvent être mutuellement dégoûtés l'un de l'autre pendant de nombreuses années sans qu'ils soient en état de déchirer leur lien si, à leur appel, il ne leur est pas prêté assistance de la part d'une puissance plus élevée. Un esprit continue-t-il à influencer un être humain en vue de se satisfaire? Il sombre alors plus profondément et toujours plus bas, entraînant avec lui sa victime dans les abîmes de l'enfer. C'est alors, pour les deux parties, un amer et pénible devoir de regrimper vers le haut, dès que leur aspiration s'éveille vers un état meilleur. "L'âme seule a la faculté de "penser"(*) et de vouloir. Les créatures sans âme n'obéissent qu'à la loi de l'attraction et de la répulsion, qui est éprouvée par tous les atomes physiques dont l'Univers est constitué. Même lorsque ces parasites astraux ont, selon leur habitude, capté, grâce à la force vitale d'hommes et de femmes, un certain degré de vie indépendante, ils ne possèdent pas l'intelligence de diriger leur propre mouvement ni celui des autres. Ils flottent alentour, tout comme des ferments de fièvre émanant d'une atmosphère marécageuse, et sont attirés plus par certaines personnes que par d'autres. Comme pour des germes de maladie, on peut dire d'eux qu'ils n'offrent qu'une forme de vie très inférieure. (*) Le mot "penser" ne doit, ici, pas faire penser à la pensée terrestre, qui est le fait d'un cerveau gros-matériel; en réalité, l'âme ne "pense" pas, mais "ressent". "Une autre classe d'entités sont celles de la Terre, de l'Air, du Feu et de l'Eau, dont les corps sont formés des germes de vie de chaque élément. Quelques-unes, dans leur aspect extérieur, ressemblent aux gnomes et aux elfes qui doivent habiter dans des mines souterraines et des cavernes de montagne. Ainsi les fées sont de telles créatures, que des êtres humains ont vues à des endroits solitaires parmi les Peuples de la Nature; ainsi que selon leur genre, les "esprits" des eaux et les sirènes, ceux du feu et les "esprits" de l'air des vieilles fables. "[Une autre classe d'entités astrales sont les démons.] Toutes ces entités qui[, en apparence,] ont vie, n'ont [en réalité] pas d'âme, car leur vitalité est soustraite à la vie des hommes et des femmes de la Terre et entretenue par ceux-ci. Ce ne sont que des apparitions accompagnant les êtres humains parmi lesquels ils habitent. Beaucoup d'entre eux appartiennent à un ordre d'existence très inférieur, à peu près sur le même degré que celui des plantes supérieures avec toutefois la faculté de mouvement indépendant. D'autres sont très vivaces, pleins d'étonnantes ou de grotesques propriétés et peuvent aller très vite d'un endroit à un autre. Quelques-uns d'entre eux sont inoffensifs, pendant que d'autres sont mauvais, car les êtres humains auxquels ils doivent leur existence appartiennent à une race plus sauvage. "Ces curieuses entités ne peuvent exister longtemps parmi les peuples ayant atteint un degré de développement spirituel supérieur, parce que les germes de vie émis par les êtres humains contiennent alors trop peu de vie animale inférieure(*) pour les alimenter suffisamment. Par conséquent elles meurent et leurs corps s'évaporent. De même que les peuples progressent et deviennent plus spirituels, ces formes de vie inférieure du plan astral disparaissent de cette sphère terrestre. Les générations ultérieures en viennent alors à d'abord douter de ces formes puis, plus tard, à les contester complètement. Ce n'est que dans les religions orientales possédant des chroniques étendues que l'on trouve des comptes-rendus sur ces sortes d'êtres indépendants, avec la raison de leur existence. (*) Il faut, par là, comprendre "mauvaises intuitions" ou "mauvaises pensées", les deux alimentées par différentes gradations de la Force neutre parcourant toute la Création et traversant donc les êtres humains qui en sont les auteurs. "Maintenant, vois, ô Homme de l'Occident, quelle science tes savants ont fait bannir et reléguer dans le domaine des fables et de la fantaisie! A cause de cela, l'être humain, enfermé dans les étroites limites de ses sens physiques, a commencé à douter du fait qu'il possède une âme, ou un moi plus élevé et plus pur que ce qu'il connaît communément dans la vie de la Terre. Contemple la multitude d'êtres qui entourent l'homme de toutes parts, et demande-toi s'il ne serait pas préférable pour lui d'être en possession d'une connaissance lui permettant de se protéger des nombreux pièges dans lesquels il va s'engager, en complète ignorance de leur danger. "Aux temps les plus anciens de la Terre, il suffisait à l'être humain d'élever son regard vers son Père céleste pour implorer de Lui aide et assistance. Dieu alors envoyait Ses Anges ou Ses Esprits servants pour la protection de Ses enfants humains. Dans les temps nouveaux, tel un vigoureux mais immature adolescent, l'être humain cherche dans sa suffisance, non plus vers le Haut mais seulement en lui-même. Aveuglé par son orgueil et son ignorance, il se jette dans le danger, les yeux voilés. Il se détourne des choses que son intelligence limitée ne peut comprendre et des personnes qui pourraient l'instruire. Du fait qu'il ne peut voir son âme, la peser et l'analyser, il prétend que l'homme n'a en réalité pas d'âme et qu'il agit au mieux en jouissant de cette vie terrestre selon les possibilités, puisqu'il mourra un jour pour retourner à la terre alors que sa conscience et son individualité seront éteintes. Ou bien, dans la peur lamentable du destin inconnu qui l'attend, l'être humain se réfugie fébrilement dans de vagues superstitions ou auprès des sombres dogmes de ceux qui se prétendent guides sur la voie vers le pays inconnu, bien que possédant eux-mêmes en la matière, à peine plus de savoir précis que l'être humain le plus inculte. "C'est pourquoi, dans Sa compassion envers Ses enfants égarés, DIEU a grand ouvert, et plus que jamais dans les derniers temps, les portes qui relient les deux mondes. A nouveau, IL a envoyé Ses messagers pour mettre les êtres humains en garde, Ses Envoyés pour leur indiquer la voie vers la vraie félicité d'une vie plus élevée et pour leur montrer cette puissance et cette connaissance qu'ils peuvent posséder de droit. Ainsi que parlaient autrefois les prophètes de l'Antiquité, parlent aujourd'hui les messagers! Et s'ils le font plus clairement et d'une manière un peu moins voilée qu'autrefois, c'est parce que l'être humain est sorti maintenant de l'âge de l'enfance et qu'il doit lui être montré aujourd'hui, d'une façon raisonnable et scientifique, ce sur quoi il doit fonder ses espérances et sa croyance." "Ecoutez la Voix!", s'écria Hassein alors qu'il se tournait en élevant la main vers une petite boule ronde qui semblait planer à l'horizon et que nous reconnaissions comme la planète Terre, lourde de soucis. "Ecoutez la Voix qui dit là-bas: Venez à Moi ceux qui sont dans la peine et chargés de soucis! Et écoutez-nous aussi, nous qui vous parlons. Ne détournez pas vos oreilles! Avant qu'il ne soit trop tard(*), reconnaissez que DIEU n'est pas un dieu de mort mais un DIEU de Vie, car tout vit pour l'éternité. La vie règne partout et en tout: même la Terre engourdie et ses durs rochers sont formés de germes de vie dans lesquels chacun possède son propre degré de vie. Même l'air que nous respirons et l'éther libre de l'espace universel sont remplis de vie. Et il n'y a aucune pensée que nous n'émettions sans qu'elle vive vers le Bien ou vers le Mal. Aucun agissement dont l'image ne reste attachée à l'âme pour le tourment ou la consolation, au jour de la libération de son incarnation dans une forme terrestre. La vie est en toute chose et DIEU est la Vie centrale de tout." (*) Dans cet "Avant qu'il ne soit trop tard" réside déjà, voilée, la Connaissance du "Jugement Dernier". Hassein se tut et poursuivit d'un ton plus tranquille: "Regarde là! Qu'est-ce que c'est?" Il m'indiquait quelque chose qui me parut tout d'abord être une masse de personnages fin-matériels, planant en notre direction comme s'ils étaient poussés par un vent violent. Quand ils furent plus près, je remarquai qu'il s'agissait d'enveloppes astrales sans âmes mais tout à fait différentes de ces fantômes que j'avais vu harceler l'homme dans la cage de glace. Ils avaient une forme consistante et, à mes yeux fin-matériels, ils paraissaient vivants et pleins d'énergie animale. Pourtant, ils semblaient plutôt être des automates et ne posséder aucune intelligence. En dérivant, ils dansaient comme les bouées auxquelles s'attachent les bateaux sur la mer. Quand ils furent arrivés à notre portée en rangs serrés, mon ami tendit sa volonté et retint l'une de ces formes qui resta alors à flotter en l'air. -"Maintenant, regarde! dit-il. Ceci est une chose qui a l'air d'être une poupée animée, constituée d'innombrables petits germes de vie. L'être humain donne continuellement de son corps physique à de tels germes, et les derniers proviennent exclusivement de sa vie animale ou inférieure. Ils sont toutefois suffisamment matériels pour se transformer en ces imitations d'hommes et de femmes terrestres, lorsqu'ils viennent en contact avec la force magnétique du plan astral. D'un autre côté, ils ne sont pas assez matérialisés pour être visibles à l'œil purement physique de l'être humain car, afin de les voir, un infime degré de faculté de clairvoyance est requis. Si tu avais possédé un plus haut degré de clairvoyance, tu aurais vu que cela n'est pas vraiment un corps spirituel, car le principe spirituel y manque. Un encore plus haut degré de perception spirituelle te ferait reconnaître qu'une âme n'a jamais habité cette forme qui n'a jamais été l'enveloppe astrale fin-matérielle d'une existence consciente. Vis-à-vis de ces apparitions astrales, les clairvoyants habituels n'ont pas un coup d'œil suffisant pour distinguer ces différents degrés de clairvoyance. De ce fait, il n'y a sur Terre que peu de clairvoyants pouvant dire si ceci est une forme astrale avec âme, ou bien dont l'âme s'est séparée, ou encore si c'est une forme dans laquelle une âme n'a jamais existé. Je vais de suite te montrer une expérience avec cette forme astrale. "Examine tout d'abord cet être tel qu'il est maintenant. Il semble être frais, plein de vie animale terrestre et ne donne pas l'impression de déchéance des formes vues récemment, ayant jadis enveloppé une âme et se trouvant dans un état en cours de rapide décomposition. Mais imprègne-toi bien de ceci: cet être astral, apparemment vigoureux, tombera en ruine beaucoup plus rapidement que les autres car, en lui, il n'y a rien de ce principe de vie supérieur qu'on trouve chez un être astral ayant autrefois contenu une âme, qui l'a longtemps animé et l'a protégé d'une destruction complète. Les formes astrales doivent tirer leur vie d'une source plus élevée (donc de véritables germes d'esprit) sinon elles cessent bientôt d'exister et se dissolvent. - Mais, demandais-je, comment adoptent-elles la forme d'hommes et de femmes? - Par la force des courants fin-matériels magnétiques qui fluent à travers tout l'espace éthérique, comme les courants des océans. Ces courants de vie magnétique sont d'une espèce plus subtile que ceux connus par la science de la Terre. Ces formes représentent le côté fin-matériel de ces courants et agissent comme telles sur cette masse de nuages d'atomes humains et, à vrai dire, de la même façon que l'électricité agit sur l'humidité gelée d'une vitre. Ici se réalisent ainsi des formes ressemblant à des hommes et des femmes tandis que, sur Terre, l'humidité gelée est transformée par l'électricité en images semblables à des arbres, des plantes etc. "C'est un fait reconnu que, dans le règne végétal, l'électricité joue un rôle actif dans la réalisation de la forme des feuilles, des arbres, etc. Mais peu de gens savent que ce magnétisme raffiné a une part semblable dans la formation des formes humaines et de la vie animale. Je qualifie de vie animale toutes ces formes qui se trouvent parmi les êtres humains. - Y a-t-il aussi des formes astrales d'animaux? - Certainement! Leurs combinaisons sont parfois étonnantes et bizarres. Mais je ne peux te les montrer maintenant parce que ta faculté visuelle n'est pas assez développée et que nous voyageons trop rapidement pour que je puisse te les expliquer convenablement. Tu pourras les voir un jour, ainsi que beaucoup d'autres choses remarquables en relation avec le plan astral. Je peux déjà te dire que tous les atomes sont divisés en différentes classes principales, et que chaque subdivision possède une attraction particulière vers une autre de son genre; ainsi les atomes végétaux s'attirent réciproquement pour former ensemble des plantes et des arbres astraux, tandis que les atomes animaux se constituent en formes pareilles à des bêtes, des oiseaux, etc. Les atomes humains, par contre, forment les corps des hommes et des femmes. "Dans bien des cas où les êtres humains dont sont issus les atomes se trouvent dans un très bas degré de développement et sont proches parents des animaux, leurs atomes se mélangent avec ceux de formes de vie inférieure. Ils engendrent alors d'étranges et effrayantes créatures, qui ressemblent à la fois à des bêtes et à des hommes, et qui, si elles sont vues d'un clairvoyant en état de demi-transe, peuvent être décrites comme des visions de monstres. "Dans la sphère terrestre sont continuellement émis par les êtres humains un nombre énorme de ces atomes vivants de basse nature ou animale. Les êtres humains entretiennent et renouvellent ainsi des formes astrales. Transporterions-nous ces enveloppes sur une planète qui, élevée au-dessus du degré de la vie matérielle, serait spiritualisée, ces êtres astraux, dès lors, ne pourraient plus exister. Ils se résorberaient comme des émanations nuisibles et seraient soufflés au loin. "Ainsi que je te l'ai déjà dit, ces êtres astraux créés d'une masse nuageuse d'atomes humains et n'ayant jamais servi d'enveloppe à une âme, sont, selon leur nature, à peine plus durables que les formes de givre sur une vitre; excepté lorsque la force d'une plus haute intelligence agit sur eux pour renforcer leur vitalité et prolonger par là leur existence. De par leur aspect sans expression, pareils à des poupées de cire, ils se laissent imprimer une individualité quelconque. Ainsi s'explique qu'aux temps anciens, ils furent utilisés par les magiciens et autres initiés. Les atomes astraux engendrés par les arbres, les plantes, les animaux et les êtres humains ne doivent pas être confondus avec les atomes fin-matériels habillant une âme et dont se compose le monde fin-matériel et ses habitants. Les êtres astraux sont d'un degré de matérialité intermédiaire entre la matière grossière de forte densité de la Terre et la matière plus raffinée du monde fin-matériel. "Si nous parlons d'une âme revêtue de son enveloppe astrale, nous pensons donc à une âme liée à la Terre, trop affinée ou trop immatérialisée pour l'existence terrestre, ou bien pour pouvoir passer dans les sphères plus basses, mais encore trop grossière pour passer dans les sphères plus élevées du monde fin-matériel. - Ainsi tu crois, lui demandais-je, qu'en ce qui concerne son corps, un esprit animé est encore plus raffiné dans les sphères les plus basses qu'un esprit lié à la Terre? - Oui, certainement. Le plan astral s'établit comme une ceinture autour de cette planète. Il se compose d'une matière trop fine pour être assimilée (aspirée) par la Terre à nouveau, et en même temps trop grossière pour pouvoir échapper à l'attraction de cette planète et s'élever dans les sphères du monde fin-matériel, où celles-ci causeraient la décomposition ou la transformation des formes. De façon générale, ce n'est que par la forme animée du magnétisme fin-matériel qu'elle contient qu'elle est capable de se maintenir dans une forme quelconque. "Chez les formes astrales humaines ayant possédé, en tant qu'enveloppes fin-matérielles, une vie individuelle, les atomes astraux ont intégré en eux une plus ou moins grande quantité de magnétisme fin-matériel ou de réelle essence de vie. Et toujours selon que l'existence terrestre fut bonne ou mauvaise, sublime ou dévergondée, ce magnétisme fin-matériel anime l'enveloppe pour un temps plus ou moins long et constitue un lien entre elle et l'âme qui lui conféra vie. Chez une âme dont les désirs n'étaient orientés que vers les choses élevées, le lien est bientôt détaché et l'enveloppe astrale se décompose vite. Dans le cas contraire, le lien peut durer un siècle tandis que l'âme est enchaînée à la Terre et donc effectivement liée à la Terre. "La matière astrale a retiré de l'âme tant de faculté de vie que l'enveloppe vide plane encore au-dessus de la Terre, pareille à l'image blafarde de son occupant décédé, après que l'âme mauvaise ait elle-même sombré dans les basses sphères. De telles enveloppes planantes sont parfois perçues par des clairvoyants au-dessus de l'endroit où elles ont vécu jadis. Ce sont, en vérité, des spectres. Ils n'ont pas d'intelligence propre car l'âme s'en est enfuie. Ainsi ne peuvent-ils pas influencer des médiums ni faire bouger des tables. Ils ne font rien d'autre que de servir d'agent mécanique à une intelligence plus haute, peu importe qu'elle soit bonne ou mauvaise. "L'être astral devant nous n'a aucun magnétisme spirituel et n'en a jamais possédé. Aussi va-t-il bientôt se dissoudre et ses atomes seront attirés par d'autres. Vois donc ce à quoi il peut servir si je fais agir sur lui ma force de volonté et que je l'anime pour un temps de ma personnalité." Tandis qu'il parlait, j'observais la poupée astrale, voyais qu'elle prenait vie, faisait preuve d'intelligence puis se glissait vers un membre de la Confrérie choisi par Hassein. Elle lui frappa alors sur l'épaule, semblant lui dire: "Ami! Mon maître Hassein te salue!" Après cela, elle s'inclina devant le frère étonné, puis glissa de lui jusqu'à nous comme si Hassein la tenait par une corde ainsi qu'un singe dressé. -"Tu as vu, dit-il, comment je peux employer à mon gré cet être astral, si j'ai envie d'accomplir une œuvre à distance. Maintenant, tu connais l'un des moyens employés jadis par les magiciens pour accomplir un acte très éloigné d'eux, sans s'y trouver eux-mêmes. "Ces êtres astraux ne peuvent, toutefois, être utilisés que sur le plan astral. Ils ne peuvent en aucune manière mettre des objets physiques en mouvement, bien qu'ils soient visibles à l'œil physique quand le vivant qui s'en sert le veut. Il existe par contre des êtres astraux de matérialité plus grossière qui en sont capables, et que l'on pourrait même faire pénétrer dans la terre pour transporter des profondeurs à la lumière, des trésors cachés comme des métaux rares et des pierres précieuses. Mais je ne pense pas qu'il soit bon de te conseiller ni de t'expliquer la force par laquelle cela pourrait être exécuté. Les magiciens qui découvrirent de telles forces et les employèrent en sont, tôt ou tard, devenus les victimes, parce qu'ils parvenaient rarement à les surveiller et à les dominer longtemps. - Si cet être astral venait à être animé par une intelligence mauvaise, cela signifierait-il un réel danger pour les êtres humains? demandai-je. - Oui, sans aucun doute! Personnellement, je ne pourrais moi-même me vêtir sans crainte dans cette forme astrale, mais il n'en va pas de même pour un esprit plus ignorant que moi. Il lui serait bien possible de le faire et de se rendre sensible et visible dans un personnage plus dense, mais il courrait le danger d'établir par là une liaison entre lui et l'enveloppe astrale, liaison ne pouvant être aisément détruite et qui l'enchaînerait pour longtemps au plan astral. Tu constates par là que les êtres humains de la Terre qui cherchent à revoir leurs amis décédés ne parviennent qu'à réattirer des esprits dans les relations terrestres et, de cette façon, à leur nuire le plus souvent. "Plus d'un esprit ignorant qui, en soi, était pur et bon, a commis la faute de se vêtir avec l'une de ces formes astrales, fraîche et dangereuse, alors qu'en d'autres circonstances, il n'aurait utilisé qu'une enveloppe astrale un peu moins dangereuse laissée par un autre esprit. Il lui fallut apprendre trop tard, à son détriment, qu'il s'était lui-même rendu prisonnier du plan terrestre, et cela jusqu'à la venue d'une intelligence plus élevée qui l'assistera et le libèrera. "Des esprits d'une basse sphère peuvent aussi se vêtir, de la même façon, d'une enveloppe astrale vide. Mais dans ce cas, celle-ci conserve la densité de leur corps fin-matériel, liée au degré de développement de leur âme. Car le magnétisme émanant d'un esprit inférieur agit sur la forme astrale comme un gaz empoisonné sur une gaine et la désagrège en mille morceaux. A un esprit parvenu au-dessus du plan astral, un corps astral paraît aussi dur que du fer, mais pour un esprit situé au-dessous, ces gaines sont fragiles comme des nuages ou de la vapeur. Moins une âme est développée, plus dense est sa gaine et plus elle lui reste fermement liée, pendant qu'elle circonscrit la force psychique et empêche l'âme de s'élever dans une plus haute sphère. - Tu crois donc que des esprits utilisent parfois ces gaines astrales de la manière dont ils utilisent les médiums et qu'ils les dirigent seulement par leur volonté ou s'entourent effectivement de leur forme? - Oui! Certainement! Un esprit d'un plan situé au-dessus du plan terrestre qui veut se montrer à un clairvoyant du degré le plus bas, revêtira parfois une telle gaine qu'il imprégnera de son identité. De cette manière, le clairvoyant peut l'apercevoir et le décrire. En cette circonstance, le danger existe souvent que l'esprit, bon mais ignorant, ne puisse abandonner l'enveloppe astrale aussitôt qu'il le veut. Il l'a animée et s'est fait capturer par sa puissante force vitale. Il est parfois difficile de le libérer. De la même façon, on a constaté qu'une trop longue et trop forte influence persistante d'un esprit sur un médium établit entre eux une liaison qui devient finalement un enchaînement. "Pour un esprit de la plus basse sphère, une enveloppe astrale n'est qu'un manteau confortable et pratique dont il recouvre son corps spirituel déchu et qui met le clairvoyant dans l'impossibilité de discerner en lui l'esprit vil. Par contre, pour un esprit pur et bon, une enveloppe astrale est semblable à une cuirasse de fer qui pourrait l'incarcérer. - Un esprit se sert-il de telles enveloppes astrales au cours des séances de spiritisme sur Terre, pour l'initiation d'un autre? - Cela se produit souvent lorsque le spectre est d'une espèce trop vile pour pouvoir entrer en contact avec le médium. On ne doit pas oublier la manière merveilleuse avec laquelle les pensées des hommes et des femmes se reflètent dans l'atmosphère du plan astral et peuvent ainsi être lues par des esprits, qui y répondent. Tous les esprits n'en sont pas capables. Ici, comme ailleurs, cela requiert intelligence et entraînement. "Les hommes ont peu à craindre des pauvres esprits sous-développés du plan terrestre et des sphères inférieures, car, souvent, ils prennent volontiers la main offerte pour gagner un appui. Mais ils ont bien raison de craindre les intelligences mauvaises qui, fortes en esprit et en corps, n'utilisent leurs pouvoirs qu'à des fins mauvaises. Celles-là sont un véritable danger pour les êtres humains et l'on doit s'en garder avec soin, ce qui ne pourra s'accomplir avec succès que lorsque les médiums incarnés sur Terre seront mieux instruits. Les vivants et les esprits collaboreront alors pour protéger du mensonge les mouvements spirituels, ainsi que des erreurs des êtres humains et des esprits bienveillants mais mal instruits. Pendant que ces derniers dirigent sur ce point l'attention des masses, ils causent fréquemment des dommages à eux-mêmes et aux autres. - Tu ne crois donc pas non plus que la pureté de leur intention suffise à les protéger? - La pureté de son intention pourrait-elle empêcher un enfant de se brûler quand il met la main au feu? Non. Le seul moyen est de tenir l'enfant aussi éloigné que possible du feu. C'est ce que font, en grande partie, de bons et sages esprits protecteurs. Mais si les enfants vont se frotter constamment au danger, il n'est alors pas possible d'éviter que l'un d'eux ne se brûle de temps à autre. - Par conséquent, tu ne recommanderais pas le développement des facultés médiales chez tous les vivants sans distinction? - Certainement pas! Je souhaiterais que ne puissent se servir de leur force médiale que les seuls hommes ayant été formés soigneusement sous une sage direction, pour être ensuite capables d'utiliser leurs pouvoirs pour le bien. Considère toutefois combien les motivations des êtres humains doués d'aptitudes médiales peuvent être diverses et égoïstes! Rends-toi alors compte de l'énorme difficulté de les protéger! J'avoue que j'aimerais savoir les pratiques de médiumnité autorisées seulement à ceux qui sont prêts à y consacrer un plus grand don personnel. Ce serait de préférence des médiums ne prenant aucune part aux efforts ambitieux de l'humanité. Mais assez parlé sur ce sujet! Je laisse maintenant s'éloigner cette enveloppe astrale car j'aimerais attirer ton attention sur une autre catégorie de cette même classe." Tandis qu'il parlait, il fit un rapide geste de la main au-dessus et vers le haut de l'enveloppe astrale et prononça quelques mots en langue étrangère; après quoi, l'enveloppe arrêta son mouvement et tangua quelques secondes pour être finalement emportée, comme un morceau de bois flottant sur les vagues, par un courant magnétique affluant vers nous. Je la suivis un moment du regard. Lorsque je m'en détournai, je remarquai une petite nuée de spectres sombres, à l'apparence d'affreux personnages, qui se rapprochaient de nous. C'étaient également des enveloppes astrales n'ayant jamais contenu de vie spirituelle. Mais, contrairement aux plaisantes poupées de cire astrales dont nous venions de nous séparer à l'instant, celles-ci avaient un aspect repoussant. -"Ceux-ci, dit Hassein, sont des émanations d'hommes et de femmes d'une espèce inférieure, aux mœurs mauvaises et sensuelles. Ils proviennent des bas-fonds de l'existence humaine, pas seulement de la lie sociale de la société mais également de cercles plus élevés parmi lesquels se trouvent aussi des individus moralement corrompus. Des êtres astraux comme ceux-ci peuvent être utilisés aux fins les plus malfaisantes s'ils sont animés par une intelligence mauvaise. Comme ils sont très matériels, on peut même influer avec eux sur la matière physique de la Terre. Par là, ils trouvent parfois emploi dans les exercices de ceux qui pratiquent la magie noire ou la sorcellerie. Ils sont aussi utilisés quelques fois par de plus hautes intelligences, pour produire des phénomènes physiques dans une séance de spiritisme. "Lorsque de bonnes et sages intelligences les utilisent, il n'en résulte aucun dommage. Cependant, sous la conduite d'esprits mauvais ou ignorants, ils sont un danger qui va au-delà de toute description. D'une classe d'enveloppes astrales ressemblant à celles dans lesquelles languissent encore, comme dans une prison, des germes d'esprits, celles-ci sont à l'origine de ces sauvages et dangereuses manifestations observées quelques fois au cours de séances de spiritisme, et ceci tout particulièrement quand les membres du cercle spirite ont des mœurs dépravées ou sont inexpérimentés sur la manière de se protéger. Et aussi quand les séances sont organisées par curiosité malsaine. - Mais dans quelle catégorie ranges-tu les démons et les vampires auxquels on croit dans beaucoup de régions de la Terre? - Les vampires sont des esprits ayant eu une existence terrestre et qui en ont tellement abusé que leurs âmes sont encore emprisonnées dans l'enveloppe astrale. Ils soustraient l'élément vital physique aux hommes et aux femmes pour se maintenir ainsi en vie et se sauver de la chute dans les sphères plus basses. Ces êtres s'accrochent de toutes leurs forces à leur enveloppe astrale et cherchent à en prolonger la vie, exactement comme le font les êtres humains de mauvaise conscience qui, souvent, ne veulent pas mourir, parce qu'en raison de l'abandon de leur corps physique, ils craignent de sombrer dans les profondeurs inconnues des ténèbres et de l'épouvante. Le renouvellement continuel de leur vie animale et astrale permet souvent à ces vampires de maintenir leur être près de la Terre durant des siècles. - Est-il possible, sans plus, à un vampire de rester quelque temps en possession d'un certain degré de matérialité (corporelle) pour pouvoir circuler parmi les êtres humains, ainsi que le relatent les histoires traitant de telles créatures? - Si, par là, tu demandes si le vampire est en état de se former lui-même un corps matériel, alors je te réponds: non! Mais il arrive parfois qu'il prenne complètement possession du corps d'un vivant, ainsi que le font également d'autres esprits, et il fait alors agir selon sa volonté ce corps qu'il s'est approprié. De la sorte, il est très possible au vampire revêtu du corps vivant d'un autre, de transformer l'aspect de cette enveloppe afin qu'elle ait quelque ressemblance avec l'apparence terrestre qu'avait le vampire. "Par la puissance qu'il (ou elle, car il y a des vampires des deux sexes) atteint par la possession d'un corps physique, il est effectivement capable de mener cette double vie qui est décrite dans les histoires de vampires. Toutefois, peu de vampires sont en possession d'un corps terrestre. Les autres mènent leurs existences sur la Terre dans leurs enveloppes astrales. Ils soutirent surtout la force vitale à des personnes médiumniquement vulnérables, sans que ces personnes ainsi vidées aient une quelconque connaissance de l'existence de cet être astral. De tels pauvres mortels souffrent d'une continuelle sensation de faiblesse, sans pressentir de quelle circonstance elle est redevable. - Mais des esprits protecteurs ne peuvent-ils pas protéger les vivants contre ces êtres? - Pas toujours! Ce faisant, ils protègent bien les êtres humains mais de la manière dont on préserve quelqu'un d'une maladie contagieuse. Ils avertissent du danger les êtres humains et leur recommandent d'éviter les endroits où les vampires sont surtout très attirés, par suite de leurs relations avec leur ancienne vie terrestre. Un esprit protecteur agit en sorte d'inspirer, à la conscience du vivant, une crainte instinctive devant les lieux où des crimes ont été commis ou bien où des personnes ont mené une vie dépravée. Mais il n'est pas possible de faire plus, du fait que l'être humain doit rester libre de son choix. Il ne doit pas être dirigé en tout point comme une marionnette, et surtout, il doit faire ses propres expériences, quelle que soit temporairement l'amertume de leurs fruits. Enseignements, protections et aides sont toujours disponibles, mais de telle sorte qu'ils ne s'opposent pas au libre arbitre de l'être humain. En général, il ne lui est jamais donné d'enseignements qu'il n'ait lui-même sollicités. Du monde fin-matériel, rien n'est jamais donné de force." XVIII J'aurais encore aimé poser à Hassein de nombreuses questions relatives au plan astral et à ses multiples et remarquables formes de vie. Mais maintenant, nous laissions rapidement ce plan derrière nous et notre route conduisait vers le bas, à travers ces sphères profondes que j'ai déjà évoquées auparavant. Avec une étonnante rapidité, nous traversions l'espace à une allure folle, à une vitesse qui dépasse le concept de l'intellect humain. Nous volions toujours plus bas, nous éloignant de plus en plus des sphères brillantes. Durant cette glissade de haut en bas, une sensation d'attente anxieuse s'empara de notre âme et fit taire toute conversation. C'était comme si nous ressentions d'avance l'horreur de ce pays et les souffrances de ses habitants. J'apercevais maintenant dans le lointain de grandes masses de fumée d'un noir d'encre qui, semblables à un sombre manteau, s'accrochaient au pays dont nous nous rapprochions. Comme nous arrivions plus près, les monstrueux nuages noirs paraissaient imprégnés de flammes sulfureuses blafardes, comme émanant de myriades de volcans gigantesques. L'air était si oppressant que nous pouvions à peine respirer, cependant qu'une sensation d'épuisement comme je n'en avais jamais ressentie paraissait paralyser tous mes membres. Finalement, notre guide donna l'ordre de faire halte, et nous prîmes pied au sommet d'une grande montagne noire. Celle-ci paraissait voguer sur une mer d'encre et, de là, nous voyions à l'horizon s'étaler un sombre pays. C'est ici que nous fîmes halte quelque temps, et ici aussi que nous devions nous séparer de nos amis qui nous avaient accompagnés si loin. Après un simple repas de fruits fin-matériels nourrissants apportés avec nous, notre guide, au nom de la Confrérie, dit une courte prière pour la protection et la Force, après quoi nous nous allongeâmes pour dormir sur le sommet de cette montagne noire. Quand je revins à moi, après un long état d'inconscience très agréable, tous étaient comme moi très alertes. Nous fûmes répartis par groupes de deux ou trois personnes afin de pouvoir pénétrer dans le pays ennemi sans éveiller de soupçons. Nous devions nous disperser dans ce pays ténébreux tels des missionnaires apportant le salut et l'aide à tous ceux qui étaient volontaires pour accepter notre assistance. Je constatai avec étonnement qu'une transformation s'était opérée en moi pendant mon repos. Elle consistait en une adaptation continue à l'atmosphère et à l'environnement dans lesquels je me trouvais désormais. C'était comme si je m'étais revêtu de la matière particulièrement dense de cette sphère. Quand j'essayais de me lever et de planer comme auparavant, je n'étais en état de le faire qu'avec de grands efforts. En contrepartie, l'atmosphère ne m'oppressait plus autant et la sensation de paralysie qui s'était emparée plus tôt de mes membres était atténuée. Chacun d'entre nous reçut alors une provision d'essence plus forte appropriée à notre séjour dans cette sphère, et notre guide nous donna les dernières règles de conduite et de mise en garde. Hassein vint ensuite vers moi pour prendre congé et me faire part des dernières directives qu'Ahrinziman m'avait envoyées. -"Je reviendrai de temps à autre, dit-il, t'apporter des nouvelles de ta bien-aimée et de tes autres amis. Tu pourras aussi, à cette occasion, leur envoyer un message par mon intermédiaire. N'oublie jamais qu'ici tu es entouré de toutes parts par le mensonge et la perfidie. Ne crois surtout personne qui déclarera venir à toi comme messager de notre part, sauf s'il peut te donner le signe de notre ordre. Les habitants de cette sphère peuvent même deviner tes pensées, mais ils ne sont pas en état de les lire distinctement. Parce que tu as accepté jusqu'à un certain point, par ton entrée dans leur sphère, leurs propres conditions de vie, ils sont capables de voir une partie de tes pensées, mais cela ne se fait que d'une façon imparfaite et seulement dans les domaines où tes propres basses passions forment encore un pont entre eux et toi. "Par la mise en œuvre de toutes les forces fin-matérielles, ils ourdiront des plans et des manigances avec la plus grande habileté, pour te tenter et te piéger. Il y a, dans cette région, des êtres humains qui appartenaient aux plus hautes intelligences de leur temps et qu'une carrière sacrilège a cependant fait sombrer dans cette basse sphère où ils dominent tout leur entourage. Ils sont maintenant devenus des esprits encore plus mauvais et des tyrans encore plus despotiques que jadis sur Terre. Tiens-toi donc sur tes gardes et aie à cœur tous les conseils que tu as reçus de nous. Tu recevras, de temps à autre, aide et encouragements de tes amis fidèles jusqu'à la fin de ta mission dont, ainsi que nous l'espérons, tu reviendras vainqueur pour une bonne cause. Adieu, cher ami! Puisse la Bénédiction de Dieu le Père être sur toi!" A mon grand regret, je me séparai d'Hassein pour me mettre en route avec mes compagnons. La dernière vision que nous eûmes à notre descente était les silhouettes de nos amis vêtus de blanc, qui s'élevaient vers le ciel en nous faisant des signes d'adieu. A suivre... Troisième Partie : Le Domaine de l'Enfer (XIX à XXVI) Quatrième Partie : Par les Portes d'Or (XXVII à XXXIV) L'Appel des Hauteurs Mises à jour Suivre l'Appel Œuvres Récits Y penses-Tu ? Enseignement Contacts copié à partir de http://www.appeldeshauteurs.net/recits/FranchezzoAP.htm Version norvégienne http://galactic.no/rune/franchezzono1.htm